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LE GRAND-PRÊTRE.

Tu connais peu les Athéniens. Il est deux choses dont ils sont également fiers : leur ingratitude envers les hommes et leur piété envers les dieux. Dans aucun pays, les citoyens illustres ne sont plus mal récompensés et les atteintes à la religion plus sévèrement punies. Casser une branche dans un bois sacré, blesser les animaux familiers qui vivent autour des temples, c’est encourir la mort. Un enfant qui avait ramassé une feuille d’or tombée de la couronne de Diane a été livré au supplice. Malgré les efforts des philosophes, les Athéniens demeurent attachés à leurs croyances ; au besoin, ils les fortifient par une terreur salutaire.

MÉNON.

Puisses-tu dire vrai ! Mais alors Périclès fera évader Phidias.

LE GRAND-PRÊTRE.

Le gardien de la prison est un homme sûr.

MÉNON.

Il n’y a de sûr que le tombeau. Capanée et Ajax ont été foudroyés parce qu’ils défiaient les dieux. Phidias est-il moins coupable, lorsqu’il détruit la religion elle-même ?

LE GRAND-PRÊTRE.

Souvent Jupiter prend sa foudre pour écraser les mortels. Il se contient parce qu’il est dieu.

MÉNON.

Et les impies prospèrent !

LE GRAND-PRÊTRE.

La vengeance divine se meut lentement, parce qu’elle est inévitable.

MÉNON.

Ne serait-ce point une action sainte ?…

LE GRAND-PRÊTRE.

Que veux-tu dire ?

MÉNON.

Être l’instrument de la vengeance divine ?

LE GRAND-PRÊTRE.

Je cesse de te comprendre.

MÉNON.

Tu m’as compris, pontife vénérable ; tu devines quelle pensée brille en secret dans mon âme, comme une torche au milieu des ténèbres.

LE GRAND-PRÊTRE.

Tu parais agité par les furies.

MÉNON.

Tu conviens donc que c’est la Divinité elle-même qui m’inspire ?

LE GRAND-PRÊTRE.

Je me tairai, puisque tu interprètes si librement mes paroles.

MÉNON.

Écoute-moi du moins.

LE GRAND-PRÊTRE.

Esclave, je t’ai trop écouté peut-être.