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Quelquefois le concetto final est tiré de la forme, de la saveur ou du fruit.

FLEUR DE CITRONNIER.
Le citron est aigre et ne se peut manger ;
Mais plus aigres sont les peines d’amour.
FLEUR D’ABSINTHE.
J’en ai tant bu, de l’absinthe amère,
Que plus vous m’en faites, moins j’y pense.

Telles sont les diverses formes de la chanson populaire en Italie. Tout d’abord il a fallu faire la part de l’esprit provincial ; mais, en littérature comme en politique, il faut préférer ce qui unit à ce qui divise, et l’on a pu reconnaître que sous ces différences provinciales vivait un esprit véritablement un et italien. L’unité italienne s’est affirmée par la voix de ses poètes, unité de langue, unité géographique :

Il bel paese ovè el si suona… Ch’Apennin parte, il mar circonda e l’Alpi.

Il siérait mal à la France de nier cette conciliation possible de l’unité dans la diversité, elle qui avait encore sa langue d’oc et sa langue d’oil, alors que le si résonnait déjà dans toute l’Italie, italicus orbis, comme disait Pétrarque. Ajoutons que ce oui n’a jamais retenti plus haut que de nos jours, lorsqu’on a demandé à l’Italie si elle voulait être une et libre. Eh bien ! et ce vœu servira de conclusion à notre travail, comme il en a été le point de départ, si, comme on l’a dit, cette langue des vers dans laquelle le peuple parle et chante est par elle-même un élément de fusion, que l’unité italienne inspire à son tour la muse populaire, qu’au lieu de chants piémontais, toscans, napolitains, qui demandaient leurs sujets à des rivalités surannées, à des intérêts mesquins, à des questions frivoles, il y ait désormais un chant italien plus large et plus mâle,

Che di cantar spanda più largo fiume !


digne en tous points de servir d’organe à des aspirations nouvelles. Tous ceux qui ont étudié avec quelque attention les chants populaires de l’Italie doivent souhaiter qu’un tel, vœu s’accomplisse, et que le jour vienne enfin où l’on pourra confondre dans une vaste et commune sympathie la cause de la poésie et celle de la nationalité italienne.


E.-J.-B. RATHERY.