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grand âge, les restes d’une beauté autrefois célèbre, la vivacité de son imagination toute méridionale, son caractère exalté par l’habitude des scènes de deuil, sa foi en une mission sacrée à ses yeux, tout en elle rappelle la pythonisse antique. Voici quelques fragmens traduits de son improvisation :


« D’Ioherauna je suis descendue, — je ne sais pas du tout par où j’ai passé ; — cousine, je n’ai pas vu le chemin, — en venant ici au plus vite.

« Je suis arrivée dans la plaine, — j’ai entendu le son de la cloche ; — j’ai demandé pour quel saint il résonnait : — on m’a dit que c’était pour la cousine…

« (Devant la maison.) Hé ! cousine, où t’a-t-on mise ? — Il y a longtemps qu’on désirait te voir là…

« (Le veuf veut la faire taire.) Où est ce veuf tant affligé, qui ne verse pas une larme ? — Le veuf n’a pas besoin d’être consolé ; — il désirait ceci il y a longtemps.

« Dans cette chambre si sacrée, — depuis neuf mois elle n’était pas entrée, — si ce n’est hier matin, — tout exprès pour y mourir.

« Cette chaise meurtrière — n’accusera personne ! — Ne balaie pas tant le sol, — le sang veut t’accuser.

« (Devant la morte.) Apprêtez de l’étoffe de lin… — Cousine, vous êtes en triste état — pour être dame de B… ; — vous avez les joues bien creuses.

« (Au curé, devant la maison.) Monsieur le curé, — faites ici quelques réflexions. — Faites venir la justice, — ici il y a un mauvais coup.

« De Peyranère à Oloron, — il ne s’est fait telle action, — et d’Oloron à Peyranère, — il ne s’est fait action si noire…

« (Devant la fosse.) Hé ! cousine, vous m’avez quittée, — et vous ne m’avez pas dit adieu ! — D’une chose je veux vous prier : — à ma mère veuillez me recommander. — Dieu veuille que cette nuit elle soit avec vous — dans le royaume des bienheureux ! »


On retrouve dans ce morceau le ton, le mouvement, les images familières, et jusqu’à ces dénonciations d’un crime impuni si fréquentes dans les chants corses. Il faut toutefois signaler une différence caractéristique : ici l’on demande satisfaction du meurtre à la vindicte publique, là on provoque une vengeance personnelle. La chanteuse d’aürost s’écrie : » Monsieur le curé, faites venir la justice ! » La voceratrice fait appel aux armes et demande du sang.


II

Après avoir essayé de faire la part de l’esprit provincial dans la poésie populaire italienne, on voudrait examiner maintenant les traits communs à l’Italie entière. Il en est deux qui frappent tout d’abord, et sont fortement accusés dans la littérature comme dans