Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/334

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ensuite il y a non-seulement des formes de dialecte, mais des rhythmes, des sujets favoris pour telle ou telle province. Sans parler de la Savoie, qui offre dans la Tarentaise et dans le Val-de-Suze des chants d’amour et de mariage presque tout français, la Ligurie et le Piémont présentent encore un grand nombre de ces affinités dont il y aura plus loin à citer de curieux exemples, quand on traitera des sujets historiques et romanesques.

Pour nous en tenir d’abord à ce qui constitue principalement la forme de ces mélodies populaires, constatons que le vers est presque toujours de onze syllabes, notamment dans les strambotti et rispetti. Les rimes qui se suivent deux à deux dénotent presque toujours une origine française. Quant aux rhythmes italiens, qui sont fort compliqués, nous n’essaierons pas d’en donner ici une énumération détaillée. Tantôt la strophe est de quatre vers à rime alternée, comme dans le Piémont, la Ligurie, la Lombardie, la Vénétie, l’Emilie ; tantôt, comme pour le rispetto toscan, elle est de six vers, dont les quatre premiers à rime alternée, les deux derniers à rime plate. L’octave est le rhythme adopté dans la province de Rome et en Sicile ; mais, dans cette dernière province, la rime alternée s’y complique d’une variété d’assonance, ou rima stramba, qui se retrouve aussi dans le tercet du stornello.

Comme on le verra, les rispetti, les saluti, les maggi, les fiori, ces formes discrètes et gracieuses de l’amour italien, sont des productions spontanées du sol toscan, quoique cultivées dans les autres provinces. Goldoni a dit de Venise : « Les marchands y chantent tout en débitant leurs denrées, les artisans chantent en revenant de leur travail, aussi chantent les gondoliers en attendant leurs maîtres. La gaieté forme le fond du caractère vénitien, comme une certaine grâce mignarde (lepidezza) celui de l’idiome. » Aussi que de vives et riantes cantilènes dans ce dialecte dont les molles inflexions trahissent le bégaiement de l’enfance ou l’abandon de la volupté ! Quelles charmantes compositions que ces villotte, ces furlane, chants de femmes que la danse accompagne, et ces barcaroles si renommées qui ne parlent pas seulement d’amour, comme o Pescator dell’onda, la Biondina in gondoletta, mais dont les plus anciennes ont conservé, avec de mâles accens, les souvenirs de l’ancienne suprématie maritime de Venise[1], de ses conquêtes en Grèce, de ses combats contre les Turcs et les Barbaresques, de ces expéditions où Vénitiens et Français combattirent ensemble, sous le doge Dandolo, à Zara et à Constantinople ! Il faut en dire autant de tous ces chants marinaresques

  1. « Oui, nous sommes marins, nous ! Les marins de Venise sont mis comme des seigneurs ; ils portent les chausses à l’espagnole ; ils ont une maîtresse en tout pays et en changent à chaque escale… Le lot du marchand est de tromper ; celui du marin est de mourir en mer. » Voyez Dalmedico, Canti del popolo venesiano, Venezia.