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d’échafauds, toutes choses dont on revient plus ou moins, mais de nivellement légal. Ceci, pour le coup, est sans retour. Une loi gardée par des sentimens naturels comme aussi par des intérêts, par des amours-propres, par des antipathies séculaires, est une loi impérissable, une expression de droit et de nécessité, au-dessus de laquelle il n’y a rien au monde.

Telle est la puissance d’une pareille loi qu’elle se recommande et s’impose dans tout son esprit et par-delà sa teneur littérale aux classes mêmes qu’elle dépossède. Ce qu’elle abolit en principe ne se relève pas, ne reparaît pas, même par les exceptions souffertes. Voyez plutôt la loi sur le partage égal des successions, faite qu’elle est contre la reconstitution des fortunes nobiliaires ! Eh bien ! ce partage a prévalu partout, et ces fortunes ne songent nullement à profiter de certaines latitudes que leur a laissées le législateur sous le nom de substitutions permises. Il y a des statistiques pour peser cela, et l’on y voit que sur 1,500 millions de valeurs immobilières transmises annuellement par voie d’héritage, 3 millions à peine sont frappés de substitution.

Vous n’avez pas moins là qu’une abdication de la caste désespérant d’elle-même, acceptant désormais les arrêts de l’histoire, et dépassant ceux du législateur. Il n’y a pas de quoi triompher au moins : nous perdons là un des élémens de la liberté moderne, une des bases où se fondent le mieux les droits et la grandeur d’un peuple. Qu’est-ce qui peut mieux stipuler la liberté politique que la qualité, la richesse, l’esprit ? Où ce bien sera-t-il conçu et désiré, si ce n’est où abondent déjà les autres biens ? Une aristocratie a cela de bon, qu’avec ses privilèges elle met après tout dans une société la notion du droit, et cela de beau, qu’avec son orgueil elle produit ou imagine des types, des romans, si vous voulez, qui attirent et élèvent le moral des nations. Où a manqué la chevalerie, il manque aujourd’hui quelque chose.

Quoi qu’il en soit, les faits sont là, faits accomplis s’il en fut, irréparables à jamais. La loi qu’ils nous font, c’est d’admirer et d’envier, si bon nous semble, les institutions locales qui viennent d’être décrites, mais de nous en tenir là.

Figurez-vous seulement le régime d’un comté anglais appliqué à l’un de nos départemens. Au lieu d’un conseil-général électif, au lieu d’un préfet et de maires, au lieu de juges et de ministère public, au lieu d’un conseil de préfecture, représentez-vous, pour faire l’office de tous ces pouvoirs, quarante ou cinquante personnages au choix du pouvoir exécutif, toujours pris parmi les mieux rentes et les plus qualifiés. Demandez-vous un peu ce que penseraient les populations de se voir ainsi taxées, jugées, administrées par tout