Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/326

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au demeurant, ce que vous voyez dans les pouvoirs locaux de la Grande-Bretagne, ce n’est pas tel ou tel ressort particulier, mais l’esprit même de la race, pétrie qu’elle est de volonté, de muscles et d’ardeurs universelles. Que tout cela se déploie partout, rien n’est plus naturel : comment des êtres doués de vigueur et d’énergie pour leurs propres affaires n’auraient-ils pas ces qualités dans les affaires collectives, dans le gouvernement des choses qui les touchent de plus près ? Aussi bien c’est la raison pour laquelle on peut, dans cette sphère, les livrer à eux-mêmes. Inutile de pousser ce qui va de soi, ou de contenir ce qui trouve à côté de soi son obstacle, son frein. Soyez sûr en effet que l’individu ou le corps, objet de quelque entreprise, suffirait à la réprimer. On ne peut moins présumer d’un pays où telle est la vigueur des individus pour la défense de la société et d’eux-mêmes, que l’institution du ministère public y est inconnue, superflue apparemment.

Il faut donc considérer dans ces pouvoirs la race, la vitalité intime plutôt que les organes, ce qui est peu propice déjà aux projets d’imitation ; mais ce n’est pas tout : les organes eux-mêmes, d’essence traditionnelle, ont toute une histoire qui leur est propre, qui seule a pu les créer. Et ceci va nous expliquer en même temps comment la localité anglaise, avec les pouvoirs et l’humeur qu’on lui connaît, n’a rien de gênant, rien d’entreprenant à l’égard du pouvoir central.

Ne croyez pas, à l’aspect de ces pouvoirs qui vous semblent incohérens et indépendans, que l’état soit réduit à rien, que la souveraineté soit éparse et démembrée. Il y a une caste en ce pays pour remplir tout de sa présence ou de son influence, non-seulement les élections, le parlement, les conseils de la couronne, mais les magistratures provinciales : l’aristocratie gouverne les localités aussi bien que l’état, ce qui nous est clairement apparu à l’occasion des juges de paix et des comtés. D’où vient-elle donc cette caste inouïe, cette noblesse populaire, et acclamée ? Il faut le dire une fois en passant : elle vient de Bunnymead, elle date de l’année 1213, où la grande charte fut conquise sur le roi d’Angleterre par les barons et par les communes armés pour la même cause. C’est un point d’histoire fort avéré aujourd’hui, que le progrès politique est né en Angleterre de cette alliance, tandis que parmi nous c’est avec le roi, c’est contre la noblesse que le peuple s’alliait : ce qui explique la liberté britannique et l’égalité française.

De là cette précieuse conséquence, que, nonobstant les pouvoirs répandus sur le sol d’Angleterre, la souveraineté ne cesse pas d’y être une et partout semblable à elle-même, comme si elle émanait d’un centre. C’est qu’elle émane d’une caste qui anime tous ses