Il y a maint exemple de gouvernemens menacés et ébranlés par l’opinion qui tombèrent en y déférant, qui s’achevèrent par des concessions. Mais le bienfait de l’Angleterre ne fut pas perdu, sans qu’il faille oublier toutefois une catastrophe qui vint tout précipiter, tout dénouer en Irlande : il s’agit de la disette qui ravagea ce pays en 1846. Les pauvres, à bout de vie ou plutôt d’agonie, moururent jusqu’à concurrence d’un million de personnes. Les propriétaires, perdus de dettes immémoriales, virent enfin arriver pour eux l’heure de l’éviction. Cela eut lieu en vertu de cette loi (incumbered estates act) à laquelle on faisait allusion tout à l’heure, qui fit main-basse en ce pays sur toute féodalité. Le gouvernement anglais, qui ne se ménageait pas, prenant à sa solde jusqu’à cinq cent mille ouvriers, dépensant jusqu’à 250 millions en un an, ne fit pas plus de façon avec les titres et avec les dynasties qui croyaient posséder à jamais le territoire d’Irlande. Il obtint une loi contre les propriétaires obérés ; il institua une procédure sommaire contre leurs propriétés ; il appela à cette vente, à cette expropriation, quiconque avait du capital, du savoir et de l’expérience agricole, ou même simplement de la hardiesse, de la spéculation. À cet appel, il fut répondu de partout, d’Ecosse principalement, et le vieil écheveau du moyen âge qui enlaçait la terre d’Irlande fut tranché du coup. Cette liquidation peut se raconter ainsi : mort des pauvres, ruine des riches, avènement des Écossais. À toute rigueur, on pourrait croire que les Irlandais sont destinés au même sort que les Peaux-Rouges des États-Unis : éviction, disparition graduelle.
Nous en avons fini avec cette revue des pouvoirs locaux de la Grande-Bretagne, nous avons acquis le droit de les juger.
Il me semble que la paroisse, avec ses apparences de gouvernement direct, gouverne peu de chose. — Le bourg, plus considérable en attributions, représente en superficie et en population une faible minorité. — Quant aux comtés, pourvus de tout ce qui manque à ces deux catégories, on peut hésiter à voir quelque chose de local dans leur gouvernement, c’est-à-dire dans une caste et dans son esprit. Bref, ce qui est puissant n’est guère local, et ce qui est local n’est pas puissant.
Après tout cependant, la localité britannique, qu’on l’appelle ainsi à tort ou à raison, est singulièrement vivante ; on dirait qu’elle se meut par elle-même, avec indépendance et vigueur. On ne voit pas au-dessus d’elle d’autorité qui la pousse ou qui la retienne dans ses dépenses, qui règle ses budgets, qui autorise ou qui casse ses assemblées. Un préfet réformant un budget municipal, fût-ce celui