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du culte dont les ministres sont entretenus par les propriétaires fonciers, et les édifices par une commission centrale irlandaise, board of ecclcsiastical commissioners. — Quand les paroisses irlandaises, dit le document belge, ont nommé leurs officiers et réparti les taxes dont elles sont chargées, soit en vertu d’une loi de l’état, soit par un vote des grands-jurys pour le service des comtés, il ne leur reste plus rien à faire. Rappelez-vous que ces grands-jurys sont purement consultatifs, ce qui, joint à l’insignifiance de la paroisse, montre bien où est le pouvoir ; il doit être quelque part dans le dernier pays du monde qui puisse s’en passer. Ne le rencontrant ni dans la paroisse ni dans le comté, on doit croire qu’il est au centre. Il y est en effet, et de là il se déploie avec une ampleur qui, depuis trente ans, est celle de la plus infatigable munificence, de la réparation la plus soutenue.

Il paraît que l’Angleterre a opprimé l’Irlande ; mais, d’un autre côté, voilà bientôt quarante ans que l’Irlande crie à l’oppression par la voie de ses meetings, où peuvent se réunir vingt mille personnes, où peuvent se débiter des discours à mettre le feu partout, suivis de quelque effet… Cela donne une certaine idée de la tolérance qui est venue aux oppresseurs. Le fait est que de nos jours l’Irlande vit tomber une à une les exclusions politiques et les avanies fiscales qui l’irritaient. Ce n’est pas tout : pour le bien de l’Irlande, le gouvernement britannique osa bouleverser la propriété aristocratique et anglicane, osa violer dans ses immeubles l’église et la noblesse. Portant la main sur des mœurs et des traditions séculaires, sur des dynasties patriciennes qui avaient cru s’enraciner dans le sol d’Irlande, il entendit que les immeubles les plus substitués pussent être vendus sommairement à la demande de tout créancier, et cela pour restituer la terre au capital, le châtelain au château, pour abolir entre le propriétaire et le fermier des intermédiaires dévorans. Voilà la grande chose, et les bienfaits de moindre importance n’ont pas manqué à ce principe, à cette audace. Règlemens pour protéger les émigrans avant et pendant le voyage, taxe permise pour les assister, privilèges hypothécaires de l’emprunt contracté à la même fin, dotation des écoles primaires et même de séminaires catholiques, autorités et crédits sans bornes pour travaux publics, tel est le simple aperçu de la politique anglaise à l’égard de l’Irlande.

Chose étrange, toutes ces libéralités eurent les fruits qu’on s’en promettait, un certain apaisement, une certaine renaissance d’ordre et même de prospérité, où l’Irlande semble se rattachera la métropole. Rien n’est moins sûr pour les gouvernemens que de réparer une injustice : leurs concessions ont souvent pour effet de créer plus de forces qu’elles n’éteignent de colères parmi leurs ennemis.