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cher les objets nécessaires au Brusc, le plus prochain village, et j’eus une heure d’espoir, car j’obtins un mieux sensible, la peau se réchauffa un peu, les traits se détendirent, la connaissance et la parole revinrent. J’en profitai pour éloigner mes aides et interroger la malade.

— Quel poison avez-vous pris ? lui dis-je.

— Je n’ai rien pris.

— Si fait, je le sais. Qu’y avait-il avec la ciguë ?

— Ah ! vous savez ! Eh bien ! il y avait plusieurs herbes. Et elle me nomma des plantes dont le nom en patois local ne m’apprenait rien. Je pus lui arracher la révélation vague des doses et de la préparation, mais elle ne se laissa pas interroger complétement.

— Laissez-moi mourir tranquille, dit-elle, vous n’y pouvez rien. Il faut que je parte, et si vous me sauvez, je recommencerai.

— Vous aviez donc depuis longtemps la volonté de vous ôter la vie ?

— Non. Je voulais l’ôter à celui qui m’a jouée et avilie !… mais j’espérais toujours. Aujourd’hui… quand donc ? je ne sais plus le temps qu’il y a,… j’ai trouvé une lettre… Ah ! où est-elle ?

— Je l’ai. Cette lettre est d’un frère à sa sœur.

— Non, vous mentez ! Je ne vous crois plus. Rendez-la-lui, sa lettre, et dites-lui ce qu’elle a fait, dites-lui qu’elle m’a rendue folle et que j’ai voulu… je ne sais plus quoi… Ah ! si, j’ai voulu tuer ma petite ! Et je l’ai tuée, car je ne la vois pas ici. Mon Dieu ! où est Louise ? Louise est morte, n’est-ce pas ? Ah ! vous pouvez tout me dire, puisque je suis morte aussi !

— Non, Louise n’a presque rien. Repentez-vous, et Dieu vous sauvera peut-être.

— Je ne veux pas vivre ! Non, je tuerais les deux enfans, et le mari, et tout, puisque je n’ai plus ma tête. Quand j’ai vu ça, je me suis punie. J’ai dit : Tu ne peux pas te venger, puisque tu ne sais plus ce que tu fais ; eh bien ! il faut en finir. C’est un bien pour les enfans, allez, et pour l’homme aussi ! Dites à votre ami l’officier qu’il soit bien heureux, lui, et qu’il s’amuse bien ! Moi, j’ai fini de souffrir.

Une violente convulsion jeta la malheureuse à la renverse sur son oreiller. De nouveaux soins la ranimèrent une seconde fois. Elle reconnut son mari, qui rentrait, et demanda à être seule avec lui. Ils restèrent quelques minutes ensemble, puis Estagel me rappela. Il semblait frappé d’idiotisme et sortit en disant que sa femme demandait le prêtre ; mais il s’en alla au hasard, comme un homme ivre.

À partir de ce moment, la Zinovèse n’eut plus que de faibles