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et de géologue ; mais la suite des circonstances et sans doute aussi son esprit observateur et son goût pour les voyages l’entraînèrent d’un bout à l’autre des États-Unis. Il visita Washington, Richmond, la Nouvelle-Orléans, descendit jusqu’au Nicaragua, remonta à New-York, de là s’engagea avec une caravane à travers les vastes espaces qui mènent au Texas et au Mexique, puis pénétra, par les régions qu’arrosent le Rio-Grande, le Gila et le Colorado, jusqu’en Californie.

De cette odyssée qui a duré sept ans, et qui a occupé à bon droit les organes les plus divers de la presse allemande, le voyageur rapporte un ouvrage plein d’observations judicieuses et, ce qui doit être remarqué de la part d’un Allemand aux États-Unis, dégagées de tout esprit de partialité. Il y traite avec beaucoup d’élévation les questions les plus difficiles : l’esclavage notamment et la condition des Allemands, ses compatriotes. La partie politique n’y a plus le même intérêt, parce qu’elle est vieillie de dix années, ce qui n’est pas une courte période dans ce pays où tant d’événemens se pressent ; mais les descriptions de paysages sont colorées, les tableaux de mœurs variés et vivans, et cet ouvrage est un de ceux qui peuvent le mieux nous faire pénétrer dans ce monde à physionomie étrange, où se. mêlent, sur la limite extrême de la civilisation et de la barbarie, les Américains, les Allemands, les indigènes du Mexique et la multitude des tribus indiennes.

Les Allemands, en grand nombre, sont répartis par tous les États-Unis dans des conditions très diverses. Dans la Pensylvanie, en Virginie et même au Texas, ils forment des colonies étendues, bien organisées, datant déjà de loin et tenant une place honorable au milieu de la société américaine. Dans les grandes villes, ils exercent les industries les plus variées. Il n’est pas rare non plus d’en rencontrer promenant leur existence aventureuse du Missouri à la Californie par les chemins difficiles du far west. Tout en se laissant emporter dans le tourbillon de l’activité universelle, ils ont pourtant retenu en partie les habitudes philosophiques de leur esprit et leur goût pour la discussion. M. Frœbel, qui a déployé dans ses longs voyages toute l’énergie d’un pur Américain, a bien saisi cette tendance de ses compatriotes ; elle lui semble un défaut au milieu d’une société pratique comme celle des États-Unis, et il leur reproche de consumer souvent le temps en vaines théories alors qu’il faudrait agir. Un des griefs des Allemands contre cette terre, qui les accueille d’ailleurs libéralement, c’est qu’on n’y accorde pas à leur nationalité la considération morale et les égards qu’ils lui croient dus ; mais les Américains ne se soucient guère de l’origine des divers Européens et ne considèrent que ce que l’individu vaut en lui-même. Tant mieux pour qui sait rivaliser d’intelligence et d’activité avec les Anglo-Saxons ; il ne réussit pas moins qu’eux. C’est ce que plus d’un Allemand s’occupe en ce moment de prouver.

En ce qui concerne l’esclavage, il va sans dire que le libéral exilé s’en montre l’ennemi inflexible ; il fait bien voir quelle est la supériorité du travail libre : l’état le plus favorisé de la nature après la Californie dans l’ensemble de la confédération, la Virginie, s’est cependant laissé dépasser, pour l’agriculture, la plupart des branches de l’industrie et l’accroissement de la population, par des états moins bien doués ; la population est relativement