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questions qui touchent aux cultes qui ont leur fondement dans la Bible étaient l’aliment nécessaire et pour ainsi dire exclusif du cours de M. Renan, et l’on connaissait d’avance aussi les opinions avec lesquelles le professeur devait inévitablement aborder ces questions. Bien plus, l’on avait sous les yeux des spécimens remarquables de la façon dont M. Renan entend et pratique la critique et l’appréciation littéraire des livres hébraïques dans ses études sur le Livre de Job et le Cantique des cantiques. L’on ne pouvait donc être mieux et plus complètement averti. C’est vainement que l’on allègue certains engagemens de M. Renan, des engagemens auxquels il aurait manqué dans sa leçon d’ouverture. On croira difficilement que l’on ait demandé à l’illustre écrivain l’impossible, et que, si on le lui a demandé, il l’ait promis. Sans doute le nouveau professeur avait dû comprendre qu’en traitant des livres saints, il s’en occuperait non en théologien, mais en philologue, en historien et en littérateur. Il a donné des preuves trop nombreuses de la sérénité de son esprit philosophique, de la délicatesse attendrie qu’il porte dans l’appréciation du sentiment religieux, et de l’élévation de son langage, pour que l’on pût jamais appréhender de sa part ces agressions grossières contre les croyances établies qui seules sont des provocations à des agitations regrettables. M. Renan n’a pu promettre que ce que l’on était en droit d’attendre de lui. Il n’a pas consenti, nous en sommes sûrs, à l’abdication absurde et impossible de sa liberté de philosophe et de critique. Le passage même que l’on relève dans son cours comme blessant les croyances chrétiennes aurait été avoué par quelques-uns des plus grands chrétiens de ce siècle. Voudrait-on par hasard exclure du christianisme des âmes aussi religieuses que celles du missionnaire américain Parker et de l’illustre Channing ? Nous ne pouvons donc voir dans la suspension du cours de M. Renan qu’une regrettable défaite essuyée par la liberté d’enseignement. En aucun cas, le gouvernement ne nous semble avoir à se féliciter de cette mésaventure. Les uns lui reprocheront d’avoir manqué de prévoyance, les autres d’avoir manqué de fermeté. S’il était vrai qu’il se fût laissé aller à une condescendance trop timide envers ceux que la nomination seule de M. Renan avait irrités, cette condescendance serait infailliblement nuisible au parti qui en a été l’objet, et elle n’acquerrait pas même au gouvernement la reconnaissance de ce parti.

Lors même que l’interruption qui frappe le cours de M. Renan devrait indéfiniment se prolonger, la leçon d’ouverture du professeur a été l’objet d’une manifestation inattendue de la jeunesse studieuse et lettrée de nos écoles. C’était une des tristesses de ce temps que la léthargie dont semblait atteinte la jeune génération. Depuis bien longtemps, on allait répétant la triste et poétique parole de Périclès : « L’année a perdu son printemps. » Quelques manifestations récentes avaient d’ailleurs donné à craindre que la jeunesse des écoles ne prît goût à des tumultes où se trahissent les fougues de l’âge plutôt que les généreuses ardeurs de l’esprit. L’émotion