Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/236

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous allons droit au fond des choses, quand nous disons que la situation de la papauté est la cause de l’agitation qui déjà se révèle avec tant de véhémence au sein de nos chambres. Certes l’on rencontre bien des gens parmi nous qui se rient de l’impuissance à laquelle le royaume d’Italie est condamné dans ses premiers travaux d’organisation par les incertitudes de la question romaine. Comment ne s’aperçoivent-ils pas que la politique intérieure de la France est presque aussi douloureusement dominée par la fatalité de cette question ? On ne peut plus contredire notre assertion après les scènes du sénat. Il n’est pas besoin de remonter bien haut la chaîne des causes et des effets pour expliquer comment il existe en ce moment en France une agitation religieuse à laquelle répond une agitation que ses adversaires appellent révolutionnaire. Nous-mêmes à plusieurs reprises, et à mesure que les faits se produisaient, nous avons pour ainsi dire noté les variations successives par lesquelles le parti catholique en France modifiait, sous l’influence des événemens accomplis en Italie, son attitude vis-à-vis du gouvernement. Le concours donné par ce parti à la fondation du régime de 1852 est dans toutes les mémoires. Personne n’a oublié la joie empressée avec laquelle, sauf d’illustres exceptions, le parti catholique applaudit à la suspension de la liberté de la presse, et les bienfaits qu’il attendit ou qu’il crut recueillir de la constitution d’un pouvoir fort ; personne non plus n’a oublié la série des mécomptes qu’il a éprouvés depuis la guerre d’Italie. Si ses dispositions se sont altérées depuis envers un régime politique aux débuts duquel il s’était ardemment associé, il est également certain que la conduite du gouvernement à l’égard de ce parti a subi des modifications successives. Les organes militans du parti ont eu leur part dans les mesures de répression administrative qu’ils n’avaient cru d’abord réservées qu’aux journaux des opinions qui leur sont hostiles. Pourquoi le gouvernement s’est-il cru obligé tantôt de supprimer un journal ultramontain, tantôt de censurer des mandemens épiscopaux ? Eût-il eu jamais recours à ces sévérités sans les effets de la question romaine ? La société de Saint-Vincent de Paul, qui avait pu prendre un si merveilleux développement sous la tolérance bienveillante du pouvoir, cette société, dont les œuvres charitables viennent d’être célébrées au sénat, avec une si honnête conviction, par M. Thayer et par M. Charles Dupin, eût-elle jamais fait ombrage à un ministre de l’intérieur, si le pape eût au moins conservé les Marches et l’Ombrie, si la perte de son domaine temporel n’eût provoqué la collecte catholique du denier de Saint-Pierre, si la ferveur supposée des membres de la société de Saint-Vincent de Paul animant une affiliation si puissante n’eût pas été considérée comme une force de propagande dont les écarts pouvaient devenir dangereux ? Non, sans la question romaine, il n’y aurait pas en France de parti catholique irrité et suscitant par son irritation même une opposition qui affecte peut-être dans ses exagérations un caractère irréligieux et révolutionnaire, une opposition dont le gouvernement sent