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taires, des prêtres, quand il est bien fait, ajoute à la richesse de la société, et il n’a pas de peine à prouver que là est en effet une des principales sources de la production. L’économie politique a pour objet spécial l’étude des lois qui président à la production des richesses matérielles, de celles qui satisfont à nos besoins corporels ; mais qui produit ces richesses matérielles ? C’est le travail de l’homme, et qu’est-ce qui rend le travail de l’homme habile, actif et fécond ? C’est la sécurité, la santé, la justice, la moralité, la science, et jusqu’à ce besoin d’élégance, à ces plaisirs d’imagination qui charment l’existence et allègent le poids de nos labeurs et de nos chagrins. Les arts qui agissent sur les choses ne sont, à vrai dire, que les instruirions de la production ; ils forment un ordre particulier d’études techniques, les arts industriels et agricoles proprement dits ; l’économie politique ne s’en occupe qu’incidemment ; son véritable domaine est l’étude des moyens qui agissent sur les personnes pour en faire de bons producteurs, c’est-à-dire la production indirecte ou immatérielle.

Partant de là, M. du Puynode consacre un chapitre tout entier à cette question : De l’influence des institutions politiques sur la richesse. L’économie politique ne recherche pas en effet comment il faut tracer le sillon pour semer le blé ou tisser la laine pour faire le drap ; elle se demande dans quelles conditions morales le cultivateur et le manufacturier doivent être placés pour bien produire, et il n’est pas douteux que les institutions politiques n’exercent une influence décisive sur ces conditions. Quel est le système de gouvernement qui développe le plus la richesse ? Celui qui donne le mieux aux peuples l’ordre dans la liberté, deux élémens qui n’en font qu’un en réalité, car il n’y a pas de liberté sans ordre et d’ordre sans liberté. M. du Puynode démontre parfaitement l’erreur de ceux qui voient dans le despotisme un régime favorable à la production. Le despotisme n’a pas de plus grand ennemi que l’économie politique, elle lui arrache le masque trompeur dont il se pare. Le mot terrible de Montesquieu est toujours vrai : le despotisme attaque la richesse dans sa source, il coupe l’arbre pour cueillir le fruit. Tous les exemples de l’histoire le démontrent : partout où arrive le despotisme, le bien-être s’en va avec la dignité ; le luxe amène la corruption, et avec elle l’abandon du travail, l’ignorance, la pauvreté, l’infaillible décadence.

Cette partie de l’argumentation de M. du Puynode me paraît irréprochable ; mais il va trop loin, comme toujours, dans les conséquences qu’il en tire. Sa haine légitime du despotisme le pousse à un individualisme outré qui a aussi ses dangers. Que dans la plupart des sociétés telles qu’elles sont constituées, et en particulier dans la société française, les droits de l’individu soient trop souvent méconnus, que la puissance publique intervienne mal à propos dans beaucoup d’occasions où elle n’a que faire, ce n’est pas douteux ; mais il y a loin de là à l’absence de toute règle dans les rapports sociaux. Les affaires humaines ne sont pas assez simples pour qu’il suffise d’un