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LES
ÉLÉGIES DU TRAVAIL


I.

LES ARAIGNÉES.

I. — LE TISSERAND.

La cave est froide et sombre. Un escalier glissant,
Envahi par l’ortie et la mousse, y descend.
L’eau filtrée à travers les pierres de la voûte
Sur le sol détrempé se répand goutte à goutte ;
L’enduit des murs s’écaille et s’en va par morceau,
La fenêtre mal close est veuve d’un carreau.
Dans le cadre béant de la vitre éborgnée,
Depuis le jour naissant, une grise araignée
Va, vient, croise ses fils, tourne sans se lasser,
Et déjà l’on peut voir les brins s’entrelacer
Et dans l’air s’arrondir une frêle rosace,
Chef-d’œuvre délicat de souplesse et de grâce.
Parfois dans son travail l’insecte s’interrompt,
Son regard inquiet plonge au caveau profond…

Là, dans un angle obscur, un compagnon de peine,
Un maigre tisserand, pauvre araignée humaine,
Façonne aussi sa toile et lutte sans merci.
Le lourd métier, par l’âge et la fraîcheur noirci,
Tressaille et se débat sous la main qui le presse ;
Sans cesse l’on entend sa clameur, et sans cesse
La navette de bois que lance l’autre main
Entre les fils tendus fait le même chemin.