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ont quatre-vingts et cent pieds de hauteur. La neige est très dure, et les femmes montent jusqu’au sommet pour assister à la descente des toboggins. Ceci est sans doute un jeu d’origine indienne : il consiste à se laisser glisser du haut en bas des cônes en se tenant en équilibre sur une longue et mince pièce de bois. Les Canadiens ont acquis une grande adresse à cet exercice, qui les passionne ; toutefois il arrive là de sérieux accidens.

Nous avons été au village de Lorette, habité par les derniers Hurons. Ils sont aujourd’hui civilisés, mais n’ont rien perdu de leurs us et coutumes de fête. Avertis de la visite du prince, ils étaient donc en grande tenue de sauvages pour recevoir leur hôte, et même ils lui avaient fait naïvement une galanterie digne de Fouquet. Sur la pelouse nue qui leur sert de place, ils avaient, durant la nuit, planté une allée d’arbres verts coupés dans la forêt voisine. Avant de te les présenter, je dois te dire que ces Hurons sont cultivateurs et catholiques, et que la veille j’avais fait connaissance avec leur chef à Québec. Il était vêtu là comme un gros campagnard et n’avait rien de particulier qu’une large médaille d’argent à l’effigie de Louis XIV et une épaisse ceinture bariolée qui lui ceignait le ventre. Il était venu chercher en tilbury deux pimpantes demoiselles toutes semblables de costume à des demoiselles de chez nous partant pour la campagne : toquet de velours à plumes, cheveux retenus dans la résille, ceinture à riches fermoirs, ample jupe relevée gracieusement sur le jupon bouffant rayé de rouge et de noir, gants de Suède irréprochables, ombrelle brisée portée avec aisance. Je me demandais où allaient ces deux belles brunes sous la garde d’un chef huron, lorsque celui-ci me les présenta en disant : « Ce sont mes filles que je viens de prendre au couvent, c’est leur jour de sortie. »

Je retrouvai donc ces deux demoiselles dans leur village. Elles regardaient les préparatifs de la fête sans s’y mêler ; elles se promettaient d’aller le soir à Québec pour voir représenter au théâtre Jobin et Nanette et le Gendre de M. Poirier. Le chef, le bon campagnard, qui la veille ressemblait à s’y méprendre à notre fermier de Nohant, se présente au prince dans son costume de tradition. Sa bonne grosse tête est couverte d’un bonnet de plumes fauves qui retombent en couronne jusque sur les yeux. Sa tunique de laine bleue à collet, épaulières et bordures rouges brodées de perles, laisse passer, comme tunique de dessous, une grosse chemise de coton rayé de rouge et de blanc. Ses jambières rouges à bandes découpées en crête de coq retombent sur ses mocassins. Des bracelets d’argent ceignent ses chevilles, ses poignets et ses bras au-dessous de l’épaule. Il n’a pas oublié sa large ceinture et son an-