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que chose qu’on ne disait pas et que je n’osais pas demander : c’était le résultat de la conférence entre la marquise et La Florade par rapport à Mlle  Roque. À quoi s’était-on arrêté ? Quelles relations existaient maintenant entre ces trois personnages ? Je me décidai enfin, tout en affectant plus de désintéressement que je n’en éprouvais, à interroger le baron.

— J’ai à te confier, répondit-il, un secret qui te concerne indirectement. Mlle  Roque n’est Mlle  Roque que sur les registres de l’état civil de Marseille, où elle est née avant que sa mère eût jamais vu M. Roque. Comme elle est bien et dûment reconnue, il n’y a pas à y revenir ; mais son véritable père pourrait bien-être celui de ton ami La Florade.

— Quelle histoire est-ce là ? m’écriai-je ; La Florade serait le frère de Nama ?

— Histoire ou roman, reprit le baron, La Florade paraît convaincu du fait.

— Mais où a-t-il péché ce renseignement inattendu ?

— Il assure qu’un vieux ami de sa famille, averti de ses visites à la bastide Roque, lui a dit ce que je te rapporte. Une des femmes du commerçant asiatique établi pendant deux ans à Marseille avait eu des relations avec le père de La Florade, capitaine marchand au long cours. Une autre femme, ou la même femme, voyant qu’en France elle était libre de par la loi, s’est enfuie avec Roque. Il y a donc présomption, et dans le doute abstiens-toi, dit le proverbe. Voilà ce que ton ami le lieutenant a répondu à la marquise, lorsqu’elle a tâché de l’amener à épouser sa protégée, et il lui a démontré qu’il était urgent de détruire en elle, par la crainte d’un inceste, une passion qui n’était et ne pouvait jamais être partagée.

— Ainsi La Florade, auteur de cette fabuleuse aventure, vous en a faits les éditeurs responsables auprès de Mlle  Roque ?

— Ah ça ! reprit le baron étonné, tu le crois donc capable d’avoir inventé cette histoire pour les besoins de sa cause ?

Je l’en croyais fort capable, mais je me méfiai de ma méfiance. Je craignis d’être influencé à mon insu par l’ancienne jalousie et de retirer à La Florade l’estime de la marquise et du baron, qu’après tout il méritait peut-être encore. Je réfléchis un instant, et je conclus tout haut à la possibilité, sinon à la probabilité du fait ; mais je ne pus me défendre d’exprimer quelque étonnement sur la facilité avec laquelle on s’était prêté à donner pour certaine à Mlle  Roque une simple éventualité. Le motif était bon assurément ; néanmoins avait-on le droit de jouer ainsi en quelque sorte avec la certitude dans une chose aussi grave qu’une histoire de famille ?

— Mon cher enfant, répondit le baron, tu dis là ce que disait la marquise. Elle a même beaucoup hésité à se laisser persuader ; mais,