Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/196

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
192
revue des deux mondes.

maximus). J’ai trouvé aussi des fourmilières hautes de cinq à six pieds, habitées par des fourmis assez grosses, d’un vert sombre bronzé ; d’autres, rouges et d’assez bonne taille, creusent, dans les arbres, les racines et la terre, des galeries de cent pieds de long ; un autre genre (mutille) de trois centimètres de long, couvert de poils orange tacheté de noir velouté, court dans les endroits exposés au soleil et fait la chasse aux petits insectes. Ces bestioles sont armées d’un aiguillon dont je ne me méfiais pas ; aussi ai-je eu le doigt perforé et tout le bras engourdi pendant un quart d’heure. Il y a aussi certaines punaises à dos en scie, à longues pattes, à ailes moirées de métal (des réduves), dont il faut craindre la trompe acérée ; mais les coléoptères dont j’ai fait une ample récolte sont inoffensifs. — Plusieurs espèces de carabiques, entre autres des brachymus americanus du genre surnommé les bombardiers, en raison de l’explosion de gaz qu’ils lancent au nez des ennemis qui les poursuivent ; ils sont deux fois plus grands que ceux d’Europe et lâchent leurs bulles de fumée blanchâtre à odeur de brome avec un bruit prononcé très comique. Des scarites Subterraneus, clænius Viridanus, des staphylins Tomentosus, Emus, Villosus, plusieurs passales Cornutus, rouge brique, et Interruptus ; des lucanes Capreola très communs sur les chênes ; des cétoines Eremicola, Brunnea sur les armoises ; des quantités de ténébrions Depressus sous les écorces ; l’elater Oculatus, qui, placé sur le dos, fait de beaux sauts de carpe : c’est un bel insecte tigré, avec deux grands yeux violets sur le dos ; des chrysomèles, coccinelles, et de toutes petites cigales noires à points blancs (des tettigones) vivant en famille dans le bois pourri des érables.

Je n’ai pas perdu mon temps, comme tu vois ; mais il se fait tard, il faut revenir, et j’aurais bien pu ne pas retrouver mon chemin à travers ce labyrinthe, si, à l’imitation des peaux-rouges, je n’eusse fait mes petites remarques : une branche cassée en sifflet ici, — un arbre fourchu là, — plus loin une plante grimpante au feuillage pourpré, — une fleur poussant dans la crevasse d’un tilleul, — mes cinq serpens échelonnés sur la route que j’avais suivie. Je me suis orienté et dirigé aussi facilement que dans un jardin, et je suis revenu tout content et tout enivré en dedans d’avoir savouré enfin à mon aise la forêt vierge dans toute sa splendeur. Je m’imagine que mes idées et mes habits sentent bon, tant je me suis imprégné du parfum de la solitude et de la végétation primitives.

Montréal, 11 septembre.

La princesse Clotilde est retournée à New-York avec une partie de la caravane, dont Ferri, qui a besoin de repos. Le commandant