espaces, sont établies à bon compte au moyen de la vapeur, et vendues très bon marché en comparaison du prix élevé de toutes choses aux États-Unis. On m’a dit qu’une seule fabrique n’en écoulait pas moins de sept mille par année. Nos paysans, si arriérés, ne voudraient pas croire à une telle consommation, eux qui réfléchissent trois ans avant de se décider à ne pas défricher un pacage pour le convertir en blé ou en prairie, eux qui ne veulent pas de chemin de fer parce que ça coupe les héritages et fait renchérir les denrées. Je leur conseille de pourrir sur leur sol berrichon et de ne jamais venir ici. J’en voudrais cependant voir un dans ces greniers à blé de six étages, d’où les torrens de froment coulent en cascade sur des bateaux qui, sans relâche, viennent le recevoir et vont le porter à tous les bouts du monde. Bravo, la grande Amérique ! c’est vraiment ici qu’elle se dresse de toute sa taille et s’étale dans toute sa splendeur agricole, la future nourrice de l’univers !
Le cri au feu ! se fait entendre, le tocsin sonne, les pompes à vapeur roulent en laissant un gros flocon de fumée noire sur la foule empressée qui les suit vers le lieu du sinistre. Chacun abandonne son travail ou son comptoir pour porter aide et secours, car les incendies ne plaisantent pas dans certains quartiers bâtis encore en bois. Ici, comme à New-York, pompes et pompiers veillent nuit et jour, et partent au moindre cri d’alarme. En Amérique, ce service est à coup sûr mieux organisé que partout ailleurs : les machines, vrais modèles du genre, fonctionnent toutes au moyen de la vapeur, et sont traînées par un double et triple attelage de chevaux magnifiques. Des chariots, également bien attelés, portent les hommes, les tuyaux et tout le matériel : tout cela, reluisant, astiqué, orné de cuivres et de lanternes, est d’un grand effet et d’un emploi sérieux. Les corporations de pompiers, toutes civiles, sont tenues en grand honneur pour les nombreux services qu’elles ont rendus et rendent tous les jours.
On me dit que Chicago ressemble, comme mouvement et comme physionomie, aux villes nouvelles de la Californie. Le fait est que la population est un mélange de marchands, de colons, d’ouvriers, de mineurs, tous gens brûlés par le soleil ou le feu des forges, aux mains dures et noircies par la charrue ou la houille. Pas de flâneurs ici, pas de gandins étiques ; c’est la volonté, l’exubérance et la soif d’une jeune société qui fusionne Allemands, Irlandais et Américains dans le même moule, pour en faire un jour le nouveau peuple de l’ouest. Le Yankee et le Virginien dédaignent un peu ces braves gens ; ils les traitent de grossiers et de brutaux. Je ne les trouve pas plus mal appris qu’ailleurs, mais je comprends bien que les tripoteurs d’argent soient jaloux de cette prospérité du beau et vrai travail.