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un ? Je me demande même si être tué par tant de monde, c’est réellement être vaincu. Cela montre assez que le renard, pour tenir tête aux hommes, est obligé d’avoir recours à beaucoup de ruses de guerre. La vie de cet animal n’est d’ailleurs bien connue que par les chasseurs. Tout huntsman qui aspire à la perfection de son art doit étudier à fond les mœurs et l’histoire naturelle de maître fox. Je n’entends pas ici l’histoire qui s’apprend dans les livres, mais celle qui s’acquiert par la pratique. Le renard est sans doute né rusé, mais ne peut-on pas dire surtout qu’il le devient ? Un jeune renardeau donnera volontiers dans les pièges ou les embûches qu’on lui dresse ; mais il gagne vite de l’expérience, et s’il échappe une fois au danger, vous ne l’y reprendrez plus aisément. Il y a de vieux renards qui déroutent les chiens durant trois ou quatre années de suite, protégés qu’ils sont par d’épais couverts et par une tactique très savante. On m’a parlé d’un de ces rusés animaux que les chasseurs avaient surnommé entre eux le renard du diable, et qui semblait véritablement avoir signé un pacte avec l’esprit malin. Il fallut les efforts persévérans d’une excellente meute pour rompre le charme, et quand les chiens réussirent enfin à s’emparer de lui, il ressemblait à un loup, tant il était de grande taille et avait la mine farouche.

Un des points d’histoire naturelle qui ont le plus occupé les chasseurs et les savans, quoique la cause n’en soit pas encore très connue, est l’odeur du renard qui se prolonge dans la direction du vent. C’est pourtant sur ce problème obscur que s’appuie tout l’art du fox-hunting. Cette odeur bien connue des chiens de chasse semble d’ailleurs être relative à l’âge ou à la nature des individus, et augmente ou diminue selon les sensations de l’animal poursuivi, telles que la crainte, la fureur, le désespoir. Le plus extraordinaire, c’est que le renard semble avoir conscience de ce vestige qui trahit les mouvemens de sa course et qui attire derrière lui toute la meute. Dans les momens critiques, il cherche et trouve souvent le moyen de se rendre inodore, c’est-à-dire invisible, car, dans la plupart des cas, les chiens ne voient le renard, si je puis m’exprimer ainsi, que par le flair. Il lui suffit pour cela de traverser un ruisseau et de laver ainsi, comme disent les chasseurs, cette forte odeur qui doit causer sa perte. Les chiens déroutés sont alors quelque temps avant de retrouver la piste de leur ennemi, et ils le poursuivent durant quelques minutes plutôt par sentiment que sur des indications positives. Il est facile de comprendre par là quelle importance attachent les hommes de l’art à chasser dans le vent ; c’est la première condition du succès.

Les explications du sportman m’avaient préparé à saisir l’ensemble