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point à ces généraux qui prennent pour eux toute la gloire du succès, tandis qu’ils rejettent la responsabilité de la défaite sur leurs soldats. Loin de nous cependant l’idée de rabaisser les fonctions des whippers-in qui sont très certainement utiles, car sans eux la meute ressemblerait à un navire sans pilote. Tout ce qu’on peut regretter avec Nemrod[1], c’est qu’il n’existe pas jusqu’ici en Angleterre de caisses de secours pour soulager la vieillesse d’une classe d’hommes qui ont mille fois risqué leur vie pour l’amusement des riches, et qui se trouvent souvent fort dépourvus quand vient pour eux le déclin des années.

Au-dessous des whippers-in se range, dans l’organisation de la chasse, le feeder (nourrisseur des chiens), dont j’ai expliqué les fonctions en parlant des chenils de Berkeley-Castle. Enfin, comme nous revenions avec le sportsman de notre promenade à travers les champs, nous rencontrâmes un homme monté sur un petit poney et suivi de quelques chiens terriers, qui se glissait mystérieusement au milieu des broussailles et des halliers. « Cet homme, me dit mon guide, est cette nuit le martyr de nos plaisirs de demain. Nous l’appelons le earth-stopper. Sa charge est très importante ; elle consiste, ainsi que vous l’indique le mot anglais, à boucher les trous et les terriers dans lesquels pourrait se réfugier le renard quand il est poursuivi par les chiens. Ce personnage nocturne est bien un des caractères les plus pittoresques et comme le loup-garou du fox-hunting. Sans ses humbles services, il n’y aurait guère de chasse, car ce que maître renard connaît le mieux est le chemin de son gîte, et une fois là il est à. peu près impossible de le déloger. Pauvre earth-stopper ! — la nuit qui précède une chasse, il n’y a point pour lui de lit à espérer, et cela qu’il neige ou qu’il vente. Vous me demanderez peut-être pourquoi il choisit les heures les plus mornes et les plus ténébreuses pour se livrer à son travail. Il y a de cela une raison bien simple, c’est la nuit que le renard sort pour chercher sa nourriture. Si donc le earth-stopper faisait sa besogne trop tôt dans la soirée ou trop tard dans la matinée, il courrait grand risque d’enfermer à domicile le héros de la fête. Tel que vous le voyez, il va voyager des milles avant que sa tâche ne soit accomplie, et malheureusement toutes les nuits d’hiver ne ressemblent point à celle-ci : il y en a beaucoup de froides et de sévères durant lesquelles ses membres tremblent comme la dernière feuille qui pend aux arbres. Le stopper s’est entendu d’avance avec les maîtres de la chasse pour savoir quels sont les couverts que l’on battra dans

  1. Il existe en Angleterre toute une littérature de sport et plus spécialement de fox-hunting, à la tête de laquelle se placent aujourd’hui deux gentlemen très connus sous les pseudonymes de Nimrod et de Scrutator.