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détruites ou endommagées, les barrières rompues, les haies écrasées par les envahisseurs en habit rouge. Voyez-les ensuite à un banquet ou à un meeting de sportsmen, ils applaudiront avec fureur le toast en l’honneur du fox-hunting et boiront à plein verre à la santé de leur ennemi. Observez-les surtout un jour de chasse sur le terrain de la battue : dans leur ardeur d’arriver les premiers au rendez-vous sur leurs chevaux lourds, mais pleins de feu, ils troublent quelquefois les opérations de la journée. Il faut néanmoins, comme vous pensez bien, au master of fox-hounds un certain degré de diplomatie pour faire accepter de bonne grâce à ses voisins les divers inconvéniens de la chasse au renard. N’admirez-vous pas par exemple le sang-froid hardi d’un Écossais, le duc de Buccleuch, qui, parlant à ses fermiers et cherchant à combattre de faux préjugés qui s’élèvent dans les campagnes contre le fox-hunting, leur disait que le blé des champs et l’herbe des prairies ne s’en porteraient que mieux pour avoir été foulés par le fer des chevaux !

« Ces négociations ne sont rien encore comparées aux devoirs qui attendent le master sur le courre. D’abord il doit toujours arriver à l’heure au lieu du rendez-vous. Vous connaissez assez de nos mœurs pour savoir que l’exactitude est la politesse des Anglais ; mais la ponctualité du master est proverbiale. Il n’arrive jamais trop tard, cela va sans dire, et il ne doit pas non plus arriver trop tôt. Sur les lieux, il prend à l’instant même le commandement de la chasse. Ce n’est point une petite affaire, et il lui faut pour cela toutes les qualités d’un général d’armée unies à la science particulière du sport. Le master doit être bon cavalier, avoir une voix de poitrine, un coup d’œil dominateur, des manières de gentilhomme et cette apparence extérieure qui commande le respect. Je vous parle ici de l’idéal, et je ne prétends point dire que tous nos maîtres soient taillés sur ce modèle-là ; ce sont pourtant en général des hommes distingués. Ne perdez point de vue que c’est à eux de maintenir l’ordre sur le terrain de la chasse. Cette tâche est quelquefois très difficile, car il s’agit de modérer et de diriger une meute de chiens impétueux, un état-major de fonctionnaires qui croient, et avec quelque raison, en savoir plus que le master dans leur spécialité, enfin une troupe indisciplinée de chasseurs et de curieux à cheval. Qui ne voit tout de suite qu’il faut pour cela une sorte de don naturel, de la promptitude d’esprit, du jugement, et surtout beaucoup de fermeté associée à beaucoup de politesse ? En principe, un master parfait devrait avoir le caractère de fer du duc de Wellington combiné avec la courtoisie du comte de Chesterfield. Quoique la responsabilité de la chasse se partage entre les différens grades, c’est lui qui porte sur ses épaules la plus lourde charge, le succès ou la défaite de la journée. Le fox-hunting