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le même jour sur le théâtre de la chasse au moins deux chevaux, dont l’un sert à relayer l’autre. On a même reconnu que cette pratique était une économie, car elle ménage la santé des chevaux, qui, sans cela, ne résisteraient pas longtemps aux courses trop prolongées. Je parle, bien entendu, d’une économie relative, car chacun de ces nobles animaux coûte au moins de 2 à 300 guinées, et l’on estime à 1,000 livres sterling par an la somme nécessaire pour entretenir une écurie de douze hunters. Après de tels sacrifices, qui s’étonnera de trouver à Melton un assez grand nombre de célébrités qui ne craignent aucune concurrence dans tout le reste de l’Angleterre, et qui donnent en quelque sorte le ton à la chasse du renard ? Le titre bien connu de Meltoniens s’applique même bien moins aux habitans de la ville qu’à une confrérie de vrais gentlemen qui vivent dans la localité et qui cultivent en commun la noble science avec toute l’ardeur qu’inspire à des hommes réunis dans le même cercle d’occupations ou de plaisirs un sentiment naturel de rivalité. Cette école se distingue surtout par le style, mot vague qui embrasse à la fois la manière de chasser, la tenue des chevaux et l’habillement des sportsmen. Le Meltonien, avec sa redingote rouge, sa casquette de velours noir, son pantalon de peau blanche et ses bottes molles à l’écuyère surmontées de revers jaunes, représente le beau idéal d’un chasseur anglais. Un jeune homme qui aspire à se poser en héros dans le monde du sport cherche donc à faire ses premières armes dans la société de Melton-Mowbray. Il faut distinguer dans la ville deux classes d’amateurs, d’abord ceux qui résident et qui, à la tête d’un patrimoine énorme, entretiennent à leurs frais un établissement de chasse, puis ceux qui viennent tous les hivers passer quelque temps dans ce rendez-vous des sportsmen élégans. Les derniers, quoique étrangers à Melton, n’y sèment pas moins beaucoup d’argent. On évalue à plus de 50,000 livres sterling la somme qu’ils laissent tous les ans pour payer leur carte de visite. Or, comme quelques-uns d’entre eux ne jouissent pas après tout d’une fortune illimitée, je me rangerais volontiers à l’avis de la comtesse Blessington[1]. Le mariage est, selon elle, « pour les jeunes gens à la mode [young men of fashion) une économie, même quand ils n’épousent qu’une dot médiocre, à cause des sacrifices pécuniaires que leur imposait la vie de garçon. »

Chemin faisant, mon guide me montra dans la ville quelques-unes des gloires meltoniennes. Celui-ci, à l’entendre, était un cavalier parfait, ce qu’il appelait une belle main pour gouverner la bride (fine bridle hand) ; celui-là ne chassait pas dans un si grand

  1. Auteur des Victimes de la Société (Victims of Society).