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Avoir une belle meute de fox-hounds est en effet une sorte de point d’honneur pour un grand seigneur britannique, et comme une obligation qui lui est imposée par les convenances sociales.

Le feeder qui m’avait introduit dans les chenils de Berkeley est ce que les Anglais appellent Jack-of-all-trades, un homme pour tout faire. Quoique placé au dernier échelon de l’organisation de la chasse, c’est sur lui que l’on compte pour faire la police et pour entretenir la discipline de la meute. Il couche dans une chambre construite exprès pour lui dans un des départemens du chenil, et son intervention devient quelquefois nécessaire aux heures du jour et de la nuit pour réprimer les séditions qui s’élèvent au milieu de son peuple. Comme sa figure exprimait une sorte de rude bienveillance et le désir de satisfaire ma curiosité, je lui adressai plusieurs questions sur les devoirs de sa charge et sur la nature des chiens auxquels il avait affaire. Il m’apprit que les fox-hounds étaient en quelque sorte les militaires de la race canine : ils habitent ensemble dans les chenils ainsi que dans des casernes, battent la campagne en escadrons serrés, et se montrent étrangers à toutes les obligations de la vie civile. La meute présente ainsi une image de l’organisation primitive du clan.

« Ces chiens, ajouta-t-il, sont tous de haute extraction, et vous savez le proverbe : bon chien chasse de race. Il faut pourtant les instruire. Ceux qui ne sont pas nés dans l’établissement trouvent à leur entrée la vie du chenil assez monotone ; mais ils finissent par s’y accoutumer. Nous les menons d’ailleurs promener durant l’été au point du jour, lorsque l’air est frais et la terre humide de rosée. N’avez-vous point remarqué qu’ils ont tous les oreilles légèrement arrondies ? C’est une opération qui se pratique avec des ciseaux, et alors qu’ils sont encore tout jeunes, pour empêcher leurs longues oreilles pendantes d’être déchirées plus tard par les épines et les buissons quand ils traversent les bois. Pour ceux qui ne les connaissent point, tous ces chiens se ressemblent ; mais pour moi, qui passe ma vie avec eux, je sais qu’ils diffèrent autant les uns des autres que les hommes engagés dans une même profession. Le plus souvent ils héritent des facultés de leurs ascendans. Il y en a parmi eux qui mordent à la chasse dès le premier jour ; c’est dans le sang : ils volent à la poursuite du renard par instinct, comme le louveteau s’attache à la mamelle de la louve. D’autres ont au contraire beaucoup de peine à apprendre leur métier. Nous ne les punissons jamais pour une première faute ; mais s’ils la répètent, le fouet leur donne une bonne leçon sur les reins. La question, après tout, n’est pas tant d’être sévère avec eux que d’être équitable. Les chiens de chasse qui sont bien nés ont le sentiment de la justice ; ils savent dans leur conscience