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bien par le choix des ornemens un goût décidé pour la chasse, qui s’est perpétué dans la famille depuis des siècles, tout en changeant quelquefois de caractère. Sur les murs se montre, parmi d’autres trophées, une sorte de cotte de mailles formée avec des dents de renard. Au milieu de la salle se déploie un grand lustre avec des têtes de biche naturelles à la base et des bois de cerf en manière de branches pour supporter les lumières. Du dining hall, on passe à travers un labyrinthe d’escaliers, de corridors et d’immenses chambres, où les embrasures des fenêtres attestent par leur profondeur l’incroyable épaisseur et la solidité des murailles. Voici la chambre où dormit la reine Élisabeth, et l’on dirait volontiers que c’était hier, car ses boîtes de toilette en argent, sa bourse et d’autres reliques figurent encore sur les tables ou les cheminées. L’antiquaire aurait mille choses curieuses à noter dans Berkeley Castle : une chapelle revêtue de panneaux sculptés et où se trouve sur un vieux pupitre une Bible qui porte la date de 1640, une foule de portraits historiques, les clés en or du château conservées sous verre, des meubles de toutes les époques, et surtout un lit colossal qui porte son âge incrusté dans la boiserie ; il est de 1330. Je pris plaisir à monter au faîte de l’édifice, d’où l’on découvre la forme presque circulaire du castle, les bastions et les anciens remparts. Sur l’une des terrasses qui dominent la forteresse, s’agitent dans leur cage des aigles vivans, dont le caractère belliqueux et sauvage s’accorde bien avec la nature des constructions qui les entourent. Ce morne château raconte plus d’une chronique, mais il a surtout conservé le souvenir d’un crime. Un escalier étroit conduit dans ce qu’on appelle la chambre du Donjon (dungeon room) : c’est là que fut assassiné en 1327, par une sombre et tempétueuse nuit de septembre, Édouard II d’Angleterre, ce faible roi trahi et détrôné par sa femme. Si les lieux ont une physionomie, comme on aime à le croire, cette froide, obscure et misérable cellule n’annonce à première vue rien de rassurant. Elle était encore plus noire et plus sinistre dans ce temps-là, car elle ne recevait le jour qu’à travers des créneaux ; c’est depuis lors qu’ont été percées deux étroites fenêtres dans l’épaisseur du mur. Tout le reste, la chaise sur laquelle s’asseyait le monarque prisonnier, le lit où il couchait, et sur lequel il fut saisi par les assassins durant son sommeil, est demeuré absolument dans le même état. On montre encore l’épée qui, rougie au feu et introduite, dit-on, par la bouche au moyen d’une corne de chasse, servit à brûler et à percer les entrailles du roi. Les exécuteurs du meurtre étaient les geôliers John Montravers et sir Thomas Gournay, aux mains desquels le prince avait été confié ; mais la complicité remontait jusqu’à un chef de l’église. Adam, évêque