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alors, jeta toute l’eau dans les souliers du cardinal, qui, piqué au vif, menaça le duc de s’asseoir sur les bords de son vêtement[1]. Le lendemain, le duc vint à la cour avec un pourpoint très écourté, et comme le roi lui en demandait la raison : « C’est, dit-il, pour éviter les effets de la colère du cardinal, qui a juré de s’asseoir sur les pans de mon habit. « Le duc avait eu son mot, qui fit rire la cour ; mais le cardinal eut la tête de Buckingham. Ce dernier, peu de temps après, fut accusé de haute trahison et jugé par ses pairs, qui le déclarèrent coupable. Trop fier pour demander sa vie au roi, il se laissa bravement décapiter. Aujourd’hui Grestow Castle est, dans toute la rigueur du mot, une résidence de chasse. Au premier étage, le long d’un vaste corridor, s’ouvre au moins une vingtaine de chambres détachées, comme dans un hôtel garni. Ces chambres spacieuses sont destinées à recevoir les amis et les chasseurs qui s’arrêtent pour quelque temps dans le château. L’ameublement en est simple, massif, sévère. Je n’excepte pas même la chambre à coucher de la maîtresse de la maison. Plus d’une merveilleuse de Londres se croirait perdue au milieu de ces grands murs, où l’on ne rencontre aucune des délicatesses de la vie domestique, mais où tout est réduit au nécessaire, ou du moins au strict comfortable. La salle la plus ornée est au rez-de-chaussée, la salle à manger, qui sert de lieu de réunion après la chasse. Le caractère de cette demeure, — semblable soifs ce rapport à toutes les résidences de gentlemen chasseurs, — est l’hospitalité. M. Howard, quoique un des grands amis du renard (ainsi que s’intitulent les destructeurs de cet animal), n’entretient pas de meute à ses frais. Je me hâtai donc de poursuivre mon chemin vers le château de Berkeley.

Je traversai d’abord un paysage étendu, mais assez indifférent, rayé de temps en temps par les gouttes de pluie d’une lourde averse. Enfin un changement dans la nature de la route et de la campagne environnante m’avertit que j’approchais du château. Ces anciennes demeures seigneuriales s’annoncent en effet, un ou deux milles d’avance, par des allées de vieux arbres qui s’élèvent vers le ciel avec un air d’orgueil et de dignité. Il semble que les riches prairies, mieux entretenues qu’ailleurs, mieux ombragées et bordées de haies vives, affectent elles-mêmes à leur manière un sentiment d’aristocratie. Ce chemin qui serpente dans une vallée me conduisit à la petite ville de Berkeley, laquelle est assise sur une éminence et appartient en quelque sorte au château, car les habitans ne sont guère que les tenanciers ou les locataires du lord. L’entrée

  1. Cette sorte d’imprécation n’est plus usitée aujourd’hui en Angleterre ; mais on la retrouve chez quelques auteurs du règne de Henri VIII.