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étrangère, imposée du dehors, et qui n’a pas été faite pour lui. Elle doit être ce qu’est un honnête vêtement, adapté justement à certaines proportions spéciales et à certaine mesuré, et qui prendra son allure et ses plis d’après les mouvemens naturels et les inclinations de la personne qui le portera. Le vêtement lui-même engage ; tout aussi bien le caractère et l’autorité propres de la loi universellement consentie donnent à une telle constitution la force suffisante pour réagir contre les faiblesses dont elle a d’abord souffert et qu’elle saura corriger ensuite, en se transformant elle-même d’accord avec un tel progrès.

Un vaste et ambitieux idéalisme, enté sur un particularisme aux profondes racines, tels sont les deux traits qui rendent compte du génie allemand, qui expliquent sa grandeur et ses faiblesses, ses momens de triomphe et ses incertitudes présentes. Ces deux traits sont visiblement inscrits dans la vie sociale et domestique de nos voisins d’outre-Rhin, dans leur art, leur littérature, leur histoire tout entière. On a souvent répété qu’ils étaient sans initiative pour résoudre et agir, et cela est vrai : ils poursuivent en effet l’idée jusque dans des régions si hautes qu’il ne leur reste pas le temps ou la force de la faire descendre sur le terrain solide de l’action : mais cette ambition, toute d’esprit et de théorie, les détache souvent de l’ambition vaniteuse et vulgaire à laquelle ils restent indifférons. Ce peuple a conservé une réelle simplicité de mœurs : les intérêts du foyer et les affections particulières sont pour l’Allemand une ferme attache ; il est révolutionnaire, cosmopolite et citoyen du monde jusqu’à vingt-cinq ans ; plus tard il est marié, père de famille et trop souvent étroitement séquestré dans sa douce prison. Dans la science, en philosophie et en littérature, de vastes théories, des systèmes qui n’excluent ni la profondeur ni l’obscurité, des aperçus ou des reflets universels, une Weltliteratur, en même temps la philologie la plus minutieuse, l’archéologie la plus patiente, la curiosité la plus infatigable ; puis des vues mystiques, une poésie lyrique sans rivale, mais point de théâtre à vrai dire, ou un théâtre inclinant vers le poème lyrique ; point de comédie surtout, puisque la comédie suppose l’expérience familière et le commerce quotidien de la vie pratique ; — l’art enfin offrant sous toutes ses formes les mêmes caractères, un magnifique et religieux essor, avec la profusion et quelquefois le réalisme des détails. Chacune de ces deux pentes conduit ainsi l’esprit allemand vers de rares et sérieuses qualités ; mais ensuite, et trop facilement, elle l’entraîne : de la sorte il ne trouve pas son équilibre dans sa propre force, mais seulement dans le contre-poids qui s’établit de l’un à l’autre excès. Cette lutte entre des courans divers se reproduit dans l’histoire