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Caffarelli chantant comme Mme Persiani l’air de la folie du second acte de Lucie :

Spargi d’amaro pianto
Il mio terrestre velo,


le sourire sur les lèvres, et brodant d’une riche vocalisation le thème de sa douleur. Te! devait être à peu près Caffarelli dans la Didone abbandonata de Jomelli, mais avec une figure charmante, une voix incomparable, une longue respiration qui lui permettait de prolonger indéfiniment la tenue d’une note, et avec une bravoure qui a émerveillé l’Europe pendant un demi-siècle.


P. SCUDO.


La France et la musique dramatique ont fait une perte douloureuse. M. Halévy vient de mourir à Nice d’une maladie de langueur. Se sentant affaibli depuis quelque temps, M. Halévy était allé passer l’hiver dans ce coin de terre dont le climat est si doux aux organisations ébranlées. Il y a fini ses jours à peine âgé de soixante-trois ans, étant né à Paris le 27 mai 1799. Issu d’une famille Israélite qui n’était pas, je crois, dans une position aisée, M. Halévy est entré au Conservatoire de Paris en 1809. Admis dans une classe de solfège, il s’y fit immédiatement remarquer par des progrès rapides. Il étudia le piano, l’harmonie, puis le contre-point sous la savante direction de Cherubini, dont il a été l’élève le plus brillant. Admis au concours de l’Institut en 1816, M. Halévy remporta le premier prix de composition en 1819, et partit pour Rome l’année suivante. M. Halévy était de retour à Paris en 1822.

On sait quels sont les obstacles qui attendent un musicien français qui a fini ses études et qui aspire à se faire connaître dans la seule carrière qu’il lui soit possible de parcourir, — la carrière dramatique. On peut assurer, sans trop d’exagération, que la plus belle moitié de la jeunesse d’un compositeur se passe à chercher un poème d’abord et à trouver un directeur qui veuille seulement prendre connaissance de son travail. Ce temps d’épreuve ne fut point épargné à M. Halévy, car ce n’est qu’en 1827 qu’il parvint à faire jouer au théâtre Feydeau l’Artisan, opéra-comique en un acte. Un opéra italien en trois actes, Clari, dont le principal rôle fut chanté par Mme Malibran, représenté en 1829, fut une tentative plus heureuse, et recommanda le nom du jeune compositeur. Après d’autres essais peu brillans, tels que le Dilettante d’Avignon, opéra-comique en trois actes, et plusieurs autres ouvrages encore qu’il est inutile de citer, ce n’est que par la Juive, grand opéra en cinq actes représenté en 1835, que M. Halévy sortit de la foule des hommes de talent et prit une position évidente dans l’art de son pays. L’Éclair, opéra-comique en trois actes, donné la même année, confirma la réputation du maître. Parmi les nombreux ouvrages que M. Halévy a produits successivement pendant vingt-cinq ans, il nous suffira de citer Charles VI, la Reine de Chypre, deux grands opéras en cinq actes, le Val d’Andorre, les Mousquetaires de la Reine, opéras-comiques en trois