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moire, pourquoi dans le présent la triste survivance de cette aberration cruelle du zèle religieux appelle-t-elle aussitôt notre pensée vers l’Espagne ? La persécution dont quelques malheureux protestans sont l’objet dans ce pays est un véritable scandale pour l’Europe. Trois protestans espagnols, Matamores, Trigo et Alhama, ont été condamnés pour prosélytisme religieux à sept ans de galères. Le fiscal du tribunal d’appel trouve la peine trop légère encore, et veut la faire porter à onze années. Quand nous entendons parler de telles atrocités exercées, au nom d’un gouvernement qui veut passer pour libéral, au sein d’un peuple passionné, mais généreux, notre intelligence se refuse à y croire. Pourtant la condamnation de Matamores est véritable, et puisqu’elle n’est point définitive, il est temps encore peut-être de la dénoncer à l’indignation du monde et à la justice du gouvernement espagnol. Il était naguère un autre pays en Europe, la Suède, où le prétexte du fanatisme luthérien maintenait contre les nationaux qui se convertissaient au catholicisme des pénalités barbares. Il faut rendre aux protestans des autres pays la justice qu’ils méritent. Au nom de l’honneur de la foi protestante, dans l’intérêt des réclamations que les protestans ont à faire entendre chez plusieurs peuples contre les excès de l’intolérance, ils ont supplié leurs frères de Suède de mettre un terme au scandale de leur système pénal en matière religieuse. Cette pression chrétienne des protestans sur la Suède a réussi. Les catholiques d’Europe ont un même devoir à remplir, une même victoire à remporter à l’égard de l’Espagne. Il faut que, grâce à eux, les Espagnols comprennent que le déshonneur des persécutions dont ils frappent les protestans rejaillit sur le catholicisme tout entier, et, chez des peuples gouvernés par une autre religion d’état, peut appeler d’odieuses représailles sur la tête de quelques malheureux catholiques. Les classes les plus ignorantes et les plus fanatiques ne seront peut-être point insensibles à ce péril de la responsabilité que leurs passions intolérantes font courir au catholicisme dans le monde ; mais quant au gouvernement espagnol, aux certes, à la société de Madrid, leurs rapports avec l’Europe civilisée et le sentiment de leur honneur devraient suffire, à défaut même du véritable esprit chrétien, pour les décider à réparer des actes tels que ceux dont souffre Matamores, et à rendre à jamais impossible la reproduction d’une aussi inique cruauté. Le protestantisme n’a plus à rougir de l’intolérance suédoise ; que l’Espagne cesse de faire rougir de son fanatisme les catholiques du reste de l’Europe.

La question de tolérance n’est point la seule où l’Espagne s’écarte des notions générales qui sont aujourd’hui le patrimoine commun des nations civilisées. Nous disons l’Espagne, ce serait une injustice d’intéresser l’honnête et fière nation espagnole dans une accusation qui ne doit retomber que sur ceux de ses hommes d’état qui ternissent sa réputation par leur incapacité ou leur mauvaise foi. C’est surtout dans les questions financières que l’Espagne est compromise par ses ministres. Un seul fait peut montrer