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de la civilisation, et que les temporisations d’une politique indécise ne sauraient retarder que de quelques jours. Mais l’inertie que permettait l’ancien état de choses était plus commode ! Mais c’est une tâche bien laborieuse qu’on impose aux catholiques en les obligeant à pratiquer et à conquérir la liberté ! N’y a-t-il pas dans ces appréhensions une pusillanimité indigne du croyant ? D’ici à peu de temps, il ne restera plus au catholicisme, dans sa forme temporelle, qu’à se tourner vers la liberté, d’ici à peu de temps, au sein des sociétés catholiques, les progrès de la liberté devront se mesurer au degré même de la vitalité de la foi religieuse. C’est ainsi que la chute du pouvoir temporel sera une des plus grandes et plus heureuses révolutions que le monde ait vues. Que les pouvoirs politiques qui répugnent à la liberté reculent devant cette révolution dont la Providence les a faits peut-être les instrumens involontaires et inconsciens, nous le comprenons ; mais que les grandes intelligences du monde catholique se ferment aux pressentimens de l’ère qui s’ouvre à elles, nous ne voulons pas le croire. Il y a en Italie, nous avons eu souvent occasion de le dire, beaucoup plus de conservateurs que les conservateurs français ne se le figurent ; il y a de même en Italie, parmi les adversaires du pouvoir temporel, un bien plus grand nombre de bons catholiques que les catholiques français ne l’imaginent. En France, nous le reconnaissons et nous le déplorons, ils sont rares encore les catholiques qui sentent l’incompatibilité du pouvoir temporel avec la société moderne ; le groupe de ces clairvoyans existe pourtant parmi nous, et on le voit lentement s’accroître. Parmi les productions les plus remarquables où l’esprit chrétien s’unit le mieux à l’intelligence des transformations que la papauté doit subir, nous citerons un écrit de M. Huet, disciple du philosophe chrétien Bordas-Demoulin, où la fin du pouvoir temporel est appelée au nom même des intérêts de la foi catholique.

Au surplus, les amis de la paix religieuse devraient gémir de la prolongation d’un état provisoire où les passions vont s’irritant chaque jour, et où les questions religieuses s’enveniment. Pour nous, qui poussons jusqu’au scrupule le respect de la liberté religieuse, nous voudrions qu’il fût possible de couvrir d’un complet silence les excès ridicules ou graves du zèle religieux. On nous a envoyé de Bologne les circulaires du vicaire-général qui permet aux curés de donner pour le temps pascal l’absolution aux soldats qui déserteront le service de Victor-Emmanuel. C’est bien là un de ces traits caractéristiques où l’on peut juger des abus produits, même dans l’ordre religieux, par la confusion des deux pouvoirs dans la cour de Rome. Le mandement de Mgr l’archevêque de Toulouse à l’occasion du jubilé séculaire commémoratif de la victoire remportée à Toulouse par les catholiques sur les protestans en 1562 est une de ces indiscrétions de zèle qui naissent naturellement de la violence de la situation présente. C’est le droit d’un évêque d’ordonner un jubilé, il est naturel aussi qu’un évêque catholique considère comme digne d’être célébré par des cérémonies religieuses