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vraiment redoutable que l’esprit révolutionnaire, le seul que les baïonnettes ne puissent atteindre. Avec celui-là, ni pacte, ni paix, ni trêve, et pour cela aucun moyen coërcitif n’est nécessaire ni utile ; l’essentiel est que le pouvoir se prononce et suive toujours avec les siens la même ligne, qu’il avertisse de ce qu’il veut, et ne renouvelle pas ces tristes souvenirs du règne de l’empereur Alexandre, règne, quant à la direction de l’opinion, scindé, coupé en deux, et dont la première partie a préparé les tendances et les dangers de la seconde… » On met bien des choses sous ce mot d’esprit révolutionnaire, tantôt la Pologne, tantôt l’Italie, presque toujours la France. Changez un peu tout cela : supposez la France donnant la main à la Russie en Pologne, à l’Autriche en Italie, et reconstituant une sainte-alliance pour faire face à l’esprit révolutionnaire ; c’est à peu près le libéralisme qui se dégage des lettres de Mme Swetchine. Et quand on dit qu’elle a eu une influence, que son intervention patiente et active dans nos affaires religieuses et politiques s’est fait sentir plus d’une fois, oui sans doute, il se peut, Mme Swetchine a eu son heure ; son nom se lie à un certain mouvement d’opinion : elle a été un conseil, et elle a pu, elle aussi, faire des académiciens. Son salon a vu passer bien des hôtes illustres ou obscurs, de même que les noms des correspondans les plus divers se succèdent dans ses lettres ; mais au fond, dans cette action qui s’efforce de n’être point exclusive, de tout comprendre, d’avoir l’impartialité d’une bienveillance universelle, on sent l’esprit de coterie et de secte, et pour tout dire, sur ce « territoire neutre », dont on parle, Mme Swetchine apparaît comme la souveraine d’un petit monde distingué, mais borné, dont M. de Falloux est le Chateaubriand. Je parle, il s’entend, au point de vue de l’action intellectuelle. M. de Montalembert et l’abbé Lacordaire, bien que liés depuis longtemps avec Mme Swetchine, échappent à ce cercle par l’impétuosité de leur nature et de leur talent. M. de Falloux est la figure de ce cadre et comme le vrai fils spirituel de cette femme de mérite.

Ce qu’il y a peut-être de plus curieux encore que l’influence de Mme Swetchine et son incessante activité pendant sa vie, c’est son succès et le retentissement de son nom après sa mort. Que de choses entrent souvent dans un succès ! De combien d’élémens se compose ce bruit, qui n’est pas toujours durable ! Il y a ceux qui ont justement le culte pieux de la mémoire d’une personne qu’ils ont aimée, ceux qui ont été de ses réunions, ceux qui auraient voulu en être, et même quelquefois ceux qui imaginent en avoir été, parce qu’ils en recueillent l’esprit. Ce qu’il y a de compliqué dans la nature et dans le talent de Mme Swetchine, comme dans sa position, n’est point étranger à son succès. Il est des momens où cette essence