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La justice s’oppose à ce que l’on reproche personnellement à M. Fould le recours à de nouveaux impôts ou l’augmentation d’impôts existans. Il n’est pas responsable d’une telle nécessité, et c’est la nature, le caractère seuls des impôts ajoutés ou augmentés, qui feront ici l’objet de quelques réflexions. Lors de la dernière réforme économique, il n’a pas manqué de gens qui conseillaient de ne procéder aux dégrèvemens qu’avec lenteur et circonspection. Après avoir vu leurs avis dédaigneusement accueillis, ils n’attendaient pas et surtout ne désiraient pas la triste satisfaction d’avoir si tôt raison. Il n’y a pas deux ans de cela, et mieux valait abandonner alors un peu moins pour n’avoir pas tant à reprendre. Le commerce et l’industrie souffrent de ces fluctuations plus encore que les contribuables ; rien ne prospère dans l’incertitude et l’instabilité ; l’agitation n’est pas le progrès. Il est encore heureux qu’une ardeur trop vive à engager la France par des conventions diplomatiques sur lesquelles elle n’était point consultée n’ait pas réussi à faire aliéner plus complètement la liberté de ses tarifs douaniers ; mais il est triste que ce soit du pays qui a le plus profité de nos concessions que nous vienne cette leçon : « Parmi les désavantages des traités de commerce, il faut compter celui-ci, — que les nations perdent le droit, du moment qu’elles sont signataires d’un traité, d’établir leur revenu comme il leur plaît. C’est ce que nous avons toujours dit en Angleterre, et la France en fait aujourd’hui l’expérience[1]. » Lord Palmerston expliquait (dans la séance de la chambre des communes du 23 janvier 1860) que, si le gouvernement anglais s’était décidé à signer un traité de commerce c’est que la constitution française permettait au souverain de concéder par convention diplomatique des modifications de tarifs que le corps législatif n’aurait probablement pas sanctionnées. Lord Palmerston prenait soin d’ajouter que la France était désormais liée, mais que le gouvernement anglais restait libre tant qu’il n’aurait pas obtenu l’assentiment des deux chambres.

Ce rapprochement porte un enseignement qui ne devrait pas être perdu. Le gouvernement français négocie en ce moment même des traités de commerce avec d’autres pays ; les premiers résultats du traité avec l’Angleterre l’amèneront certainement à consulter plus que jamais les hommes pratiques avant d’engager l’avenir. On ne sait pas généralement assez combien se sont peu réalisées jusqu’ici les espérances qu’avait fait naître l’abaissement des droits anglais sur nos vins et nos eaux-de-vie ; ce résultat peut être attribué en partie au mode anglais de tarification calculé d’après le degré d’alcoolisation,

  1. Times du 27 janvier 1862.