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s’abstient du sentiment jusqu’à ce que ses sens parlent et le décident à céder aux séductions de la demoiselle en quête d’un époux. De son côté, la demoiselle n’a peut-être pas le cœur bien vierge après les tentatives de coquetterie qui lui ont été permises envers tous les hommes qu’elle a rencontrés. Ceci nous semble, à nous autres Européens, assez peu délicat. Est-ce parce que nous sommes corrompus que nous tenons tant aux charmes de la décence ? Je n’en sais rien. Ici les femmes mariées sont fidèles et sages, cela est certain, et les hommes ne cherchent pas à les détourner du devoir, très bonne note à prendre sur leur compte, car ils sont logiques : en imposant la vertu, ils se gardent bien de l’ébranler. Ils sont chastes en ce sens qu’ils fuient également l’adultère et la débauche. Et tout cela pourtant manque de pudeur, car, aussitôt fiancés ou mariés, les époux prennent entre eux, à la vue de tous les passans et sous les yeux mêmes des autres jeunes gens des deux sexes, des libertés de l’autre monde, c’est le cas de le dire.

Miss Mary n° 1 est une personne qui, par sa distinction, ferait exception en tout pays. Elle est pourtant, elle aussi, un type américain, car elle est positive dans ses idées les plus généreuses, et ne donne dans aucune exagération de touriste. Elle prend des notes, elle examine et observe. C’est nous, Français, qui la frappons peut-être le plus dans ce voyage, et nous lui paraissons plus curieux à analyser que les Indiens du désert. Son examen est bienveillant, car elle ne craint pas de m’en faire part. Notre principal voyageur l’occupe et l’étonné particulièrement. Elle lui trouve l’air bon, et ne comprend pas qu’il soit tout pareil de manières et de vêtemens aux autres hommes. Elle me dit qu’elle s’était fait de fausses idées sur nos mœurs, et qu’elle ne s’attendait pas à voir en pareille circonstance un personnage non courtisé par son entourage ; elle ajoute que nous avons l’air de l’aimer réellement et de nous aimer les uns les autres ; enfin elle m’avoue que nous sommes plus aimables que la plupart des Américains, parce que nous sommes prévenans avec les femmes et obligeans entre nous. Cela est dit sans aucune espèce d’arrière-pensée et sans qu’elle abandonne en elle-même aucun point de sa fierté patriotique. Pour elle, l’Américain est certes le plus grand peuple de l’univers ; mais elle admet qu’il pourrait modifier et améliorer quelque chose dans sa manière d’être. Elle ne comprend pas d’autre société que la société républicaine ; pourtant elle me charge d’obtenir un autographe en apprenant que notre personnage est de son avis sur l’excellence des institutions démocratiques.

Mary la turbulente a des étonnemens bien plus naïfs. Elle remarque que nous sommes tous d’assez grande taille, et me demande comment cela se fait ; elle était persuadée que tous les