Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/946

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plume brisée et posée en biais sur le front. Drapé dans une guenille de laine fauve, il ne laisse voir de son costume que ses jambières de drap rouge qui recouvrent comme des guêtres le dessus des mocassins. Il est petit, mal bâti, mais campé fièrement sur un vieux fusil à pierre. Nous entrons dans la case en planches, toute nue. Les chefs indiens, assis en rang sur des bancs adossés au mur, fument gravement tous dans la même pipe, à tour de rôle. Ils sont vieux, et ont tous des traits exagérés : peau foncée, yeux petits, pommettes saillantes, bouche grande, mâchoire fortement accusée. L’un d’eux, le grand chef sans doute, coiffé d’un haut bonnet pointu emplumé et enrubanné, la poitrine ornée de colliers de wampun, enfoui dans une peau de bison, se lève à l’arrivée de chaque voyageur, lui offre une poignée de main et le calumet de la paix, déjà sucé par vingt peaux-rouges. Les autres, immobiles, solennels, plus ou moins vêtus et ornés de colifichets, semblent très flattés de la curiosité indiscrète des Américains. Évidemment ils posent devant nous. Ils ont vu arriver le bateau de bien loin, ils ont mis leurs peintures de cérémonie, et ils étaient prêts pour notre visite.

Des cris bizarres, aigus et retentissans parlent du côté des wigwams. Est-ce une attaque des Indiens ? Non, c’est une réception amicale. Ils approchent, musique en tête, — vraie musique sauvage. — L’un frappe à coups de poing sur une peau tendue autour d’un cercle de bois, l’autre remue une calebasse pleine de cailloux, un troisième tambourine avec le manche d’un couteau sur le fond d’une casserole fêlée. Les guerriers, au nombre de huit ou dix, demi-nus ou vêtus d’une mauvaise chemise qu’ils jettent en courant pour être plus libres de mouvemens, la tête ornée de plumes ébouriffées et fanées, le visage tatoué de peintures rouges, — symbole de paix, — tous armés de bâtons ou de tomawaks en bois, sautent comme des kanguroos et poussent des cris d’aigle. Les femmes, les enfans, les vieillards, suivent cette bande d’enragés, dont presque tous ont des cicatrices profondes sur la poitrine et dans les reins. J’ai vu là des traces de ces blessures effroyables dont parle John Tanner dans ses mémoires, blessures dont nous autres blancs serions morts deux fois pour une. La procession s’arrête, fait cercle, et la danse commence. Musiciens et guerriers, s’accompagnant de ce cri particulier appelé woop, le corps penché en avant, les bras ballans, se regardent dans les yeux, sautent sur place, et s’excitent en frappant sans relâche la terre avec leurs talons. Un nouveau danseur vient rompre la monotonie de cet exercice. C’est un grand diable à tous crins, ornés d’une plume et d’un long ruban bleu fané. Ses tresses dénouées et flottant au vent, ses yeux pochés de noir, ses grandes jambes nues, son profil en bec d’oiseau, l’orne-