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Star, autrement dit l’Étoile du Nord, immense steamboat avec salons, salles à manger, cabines, plates-formes, tourelles, galeries, etc., un véritable hôtel nautique qui pourrait contenir deux mille personnes. Il est si gros, si large, si épais, que la houle n’a pas de prise sur lui, du moins je ne m’en aperçois pas, habitué que je suis aux coups de reins de notre bon coursier, le Jérôme-Napoléon. Ce steamboat va faire une tournée de plaisir sur les lacs, s’arrêtant à tous les ports ou établissemens américains pour prendre et déposer des marchandises, des voyageurs, et surtout de jeunes voyageuses en vacances.

Nous perdons bien vite la terre de vue. À onze heures du soir, nous apercevons au loin les lumières de Toledo. Je m’endors au bruit d’une polka, jouée avec énergie sur un piano placé au milieu du salon, en face de la porte de ma cabine. Cette cabine est tellement une chambre garnie et ce piano est si peu en harmonie avec la situation géographique que j’oublierais complètement où je suis sans la présence d’une énorme ceinture de sauvetage en caoutchouc suspendue au-dessus de ma tête. Ceci est une délicatesse de l’administration envers tous les passagers. En outre, les nombreux sièges du navire sont en fer-blanc creux ; en vue d’un naufrage possible, ils peuvent servir comme de bouées pour se soutenir sur l’eau.

Lac Huron, 20 août.

Je suis réveillé à six heures par un concert de trompettes, trombones, cornets à pistons, avec accompagnement de tambour, fifre et grosse caisse. Cette musique enragée a pour but d’annoncer notre arrivée dans le port de Détroit. Promenade dans la ville ; rues larges, droites ; rien de remarquable, et toujours une foule de curieux fort gênans.

Dans notre hôtel nautique, on déjeune à sept heures du matin, on dîne à une heure, et on soupe à sept. Chaque repas est annoncé par un nègre qui fait le tour du bâtiment en frappant à coups redoublés sur un terrible gong chinois. L’Américain dévore en silence, vite et sans discernement. Chacun tire à soi une portion de nourriture, langue fumée, thon mariné, reliefs de la veille servis dans une petite assiette de ménage d’enfant. Les nègres passent à chaque convive une tranche de roastbeef ou un membre de poulet grillé ; les pommes de terre et les épis de maïs bouillis remplacent le pain : une tarte aux pommes ou du plumpudding pour dessert, et le tout se termine par de grands verres d’eau glacée.

La journée se passe à traverser le lac et la rivière Saint-Clair : à droite les belles et hautes forêts du Canada, à gauche les bois moins élevés et les prairies du Michigan. À huit heures du soir, nous stop-