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période n’est pas représentée : le bronze suit brusquement la pierre. C’est que deux races s’étaient entre-choquées. La fin du premier âge dut être marquée par des événemens terribles. Dans presque toutes les bourgades lacustres, la limite des deux époques est nettement indiquée par l’incendie des cabanes et par le massacre de la population. Les nouveau-venus, probablement de souche celtique, brandissaient dans leurs mains des haches de métal, et, grâce à la supériorité de leurs armes, durent avoir facilement raison des pauvres indigènes : tels les Espagnols durent apparaître aux Indiens lorsqu’ils envahirent les cités du Mexique et du Pérou, montés sur des chevaux fougueux et lançant la mort à distance.

Ce sont les populations lacustres de la Suisse orientale qui paraissent avoir le plus souffert de la conquête. La plupart des bourgades à pilotis de cette région furent complètement abandonnées, et depuis cette époque leurs débris ont été ensevelis dans les eaux. Les villages aquatiques de la Suisse occidentale offrent également des traces évidentes d’incendie ; quelques-uns, tels que le célèbre Steinberg (montagne des pierres) situé dans le lac de Bienne, furent reconstruits sur le même emplacement ; d’autres, après leur destruction, furent rebâtis à une plus grande distance du rivage, de manière à n’avoir plus à craindre les projectiles incendiaires ; enfin de nombreux groupes d’habitations s’élevèrent sur des bas-fonds jadis déserts des lacs de Genève, de Neuchâtel, de Bienne, de Morat. Au commencement de l’âge du bronze, la population lacustre de la contrée semble s’être déplacée en masse pour échapper au voisinage de l’ennemi qui s’était emparé de toute l’Helvétie orientale, occupée aujourd’hui par les Suisses de langue allemande. Réfugiés dans le pays qui forme actuellement la Suisse française, les lacustres furent assez heureux pour repousser toutes les invasions et pour dérober en même temps à leurs vainqueurs tous les secrets industriels importés d’Orient. Grâce à ce contact avec une race plus civilisée, une nouvelle ère de prospérité semble s’être ouverte pour eux, et le chiffre de la population lacustre augmenta considérablement[1]. Les villages de l’époque du bronze dépassent de beaucoup en nombre ceux de la période précédente, et dans les marais de la Thièle, entre les lacs de Bienne et de Neuchâtel, les pilotis se trouvent en si grande quantité, qu’ils donnent lieu à une véritable exploitation de bois.

  1. En mesurant les dimensions des cinquante-et-une bourgades aquatiques de l’âge de la pierre découvertes en 1860, M. Troyon trouve que la population totale des lacs devait s’élever a 31,875 personnes. D’après un calcul analogue, soixante-huit bourgades de la Suisse occidentale, élevées pendant l’âge du bronze, auraient contenu une population de 42,500 habitans.