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Ainsi commence une des pages de ce journal ; la même pensée s’y reproduira plus d’une fois, l’horreur du fanatisme, le mépris de l’hypocrisie ne s’effaceront jamais dans cette âme éprise du vrai et du juste, et cependant à travers ces saintes colères, à travers ces mouvemens de généreuse révolte qui l’éloignent des cultes établis, on sent naître et grandir une inspiration véritablement religieuse. Il a beau dire en maintes rencontres qu’il lui est impossible d’admettre l’idée de la Providence telle que les chrétiens l’entendent, que sa raison se refuse à concevoir un Dieu attentif aux prières des hommes, attentif du moins à leurs formules de foi plutôt qu’à leur conduite ; il a beau dire que la sainteté « n’est qu’un égoïsme exalté par la considération du moi éternel de préférence au moi mortel : » il éprouvera bientôt, lui aussi, le besoin de vivre de la vie de l’âme, et d’entrer en communication avec celui que les plus grands esprits comme les plus humbles ont appelé notre père.

C’est d’abord un sentiment de piété filiale qui éveille en lui ces nouveaux désirs. Le 20 juin 1824, il écrivit ces mots dans son journal : «… Je lis avec ma femme d’anciennes lettres de ma mère de 1806. Elles ont pour moi un intérêt prodigieux et qui n’est presque pas triste : faire ainsi revivre ma mère, entendre encore une fois sa voix et ses conseils ;… mais, bon Dieu, que reste-t-il de tant d’amour ? Serait-il possible qu’elle fût encore quelque part, songeant à moi, veillant sur moi, mettant, comme elle faisait alors, tout son bonheur dans le mien, et jouissant de l’amour que je lui garde ?… Que je voudrais le croire, c’est-à-dire le comprendre ! » Vouloir comprendre une chose, c’est déjà la posséder à demi, car d’où viendrait ce désir, s’il n’y avait en nous la substance d’une vérité, confuse encore, que l’esprit est impatient d’apercevoir sans voile et sans ombre ? Cette foi à une providence paternelle, cette croyance à un ordre supérieur qui réserve à l’âme des destinées agrandies, on la voit se dégager peu à peu des doutes qui l’obscurcissaient dans l’intelligence du loyal penseur. L’immortalité est incompréhensible, dira quelque physiologiste, adorateur fanatique de son scalpel ; la mort est bien plus incompréhensible encore, répond Sismondi, et il écrit cette note : « Comment la mort est-elle possible ? Elle est aussi surprenante, aussi inconcevable que l’immortalité ! Tous ces sentimens, toute cette vie ne peuvent pas avoir été destinés à l’anéantissement. » Excellentes paroles, mais ce n’est rien encore ; celui qui, n’admettant que des lois éternelles, repoussait l’idée de la Providence libre ouvre enfin les yeux à une vérité plus haute, et, tourmenté du désir de vaincre les difficultés philosophiques de la question, il écrit cette curieuse page : « Il m’est venu aujourd’hui comme un trait de lumière. Je reconnais jusqu’à présent