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les eaux grain de sable à grain de sable ; il en exhume les os rongés, les poteries, les débris de toute espèce recueillis déjà dans les archives des strates, et l’examen de ces objets lui suffit pour évoquer de l’oubli les peuples engloutis. Grâce à ses recherches, l’histoire de l’homme dans les contrées de l’Europe occidentale est reculée de deux mille ans : désormais c’est un fait acquis à la science qu’une race de chasseurs, d’agriculteurs et d’industriels vivait dans l’Helvétie huit ou dix siècles avant la guerre de Troie, et commerçait avec des peuples établis en Germanie et sur les bords de la Baltique. Le champ de l’histoire naturelle est également agrandi, car si depuis longtemps les mammouths et autres animaux contemporains des premiers hommes avaient disparu, l’urus, le bison, le grand élan, le bouquetin, le castor, habitaient encore les forêts du centre de l’Europe. Enfin nous apprenons un fait des plus importans pour l’histoire du globe lui-même, c’est que le climat de l’Helvétie n’a pas sensiblement varié depuis-quatre mille ans. Les arbres et les plantes qui croissent aujourd’hui dans ces contrées y croissaient alors, les mêmes fruits cultivés et sauvages servaient à l’alimentation des hommes ; la seule différence révélée par l’étude des débris de l’âge de la pierre, c’est que la châtaigne d’eau (trapa natans) et le nénufar nain, qui n’existent plus maintenant dans les lacs de la Suisse, y croissaient encore en abondance. Cette égalité des climats pendant une période de quarante siècles est une sérieuse objection à l’hypothèse des déluges polaires proposée d’abord par M. Adhémar et développée depuis par MM. Le Hon et de Jouvencel.


II

Les objets de métal n’étaient pas absolument inconnus aux lacustres de la fin du premier âge, ainsi que le prouvent quelques débris trouvés à Obermeilen et à Concise ; mais la perfection même aussi bien que la rareté des objets découverts démontrent qu’ils provenaient de l’étranger, soit par voie d’échange, soit par les hasards de la guerre. Il est absurde de supposer que ces populations primitives aient pu inventer de toutes pièces la fabrication du bronze sans avoir préalablement utilisé le cuivre et l’étain. L’apparition d’un alliage des deux métaux ne peut s’expliquer que par l’arrivée d’un nouveau peuple apportant avec lui une nouvelle civilisation. En Hindoustan, dans l’Asie centrale, en Amérique, l’âge du cuivre succéda lentement et graduellement à l’âge de la pierre, l’âge du bronze à son tour remplaça peu à peu l’âge du cuivre ; mais en Helvétie, aussi bien que dans toute l’Europe occidentale, cette dernière