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breton ou alsacien, la vie est douce, et l’esclave a du temps de reste pour danser la bamboula de sept heures à minuit. Il est vrai qu’il y a des vertus dont il fera bien de se défaire, s’il les possède, la pudeur par exemple, de huit à vingt ans. Le vice ignoble des villes maudites s’étale dans les pays musulmans avec un cynisme dont la parole ne peut donner une idée. Ce qui est vrai pour l’homme l’est encore bien davantage pour sa triste compagne, et l’esclavage n’eût-il d’autre résultat que de faire de la femme l’être passif et dégradé qui afflige les yeux du voyageur dans tout l’extrême Orient, cela suffirait pour sa condamnation. Il faut laisser ici bien loin derrière soi le portrait si entraînant tracé par un éloquent écrivain de ce qu’on pourrait appeler la négresse idéale. La Soudanienne en somme prête peu à l’illusion : si l’on ne peut lui refuser une beauté de formes qui nous ramène, par-dessus tous les chefs-d’œuvre de l’art grec, droit à la Vénus de Milo, il faut bien ajouter que ce beau corps est presque toujours surmonté d’une tête ronde comme un obus, grotesque dans presque tous ses détails, ornée d’une laine trop odorante, éclairée de deux yeux bridés d’une expression à la fois bestiale et féroce. Ici cependant le proverbe bien connu sur le « miroir de l’âme » est un gros mensonge. Ce regard sensuel et dur cache une âme chaste et bonne, ardente surtout dans l’amour maternel.

C’est précisément dans la première de ces vertus que la négresse est le plus sensiblement blessée par des gens qui ont une fort triste excuse : c’est qu’ils n’ont appris à croire à aucune pudeur. Les pessimistes qui parlent avec dédain de la femme européenne lui seront beaucoup plus indulgens quand ils auront connu la femme arabe, fille publique de naissance, sans avoir l’excuse des sens, qui paraissent chez elle assez émoussés. Libre, la femme arabe ne connaît guère la pudeur ; livrée à un homme par le mariage ou par les chances de la razzia, ce qui se ressemble plus qu’on ne le croit, elle devient une brute passive dont le possesseur retirera toutes les voluptés qu’il lui plaira. Or, dans cette voie, l’Orient va loin. La femme arabe est plus à plaindre qu’à blâmer. Dans le secret du harem, de si bonne maison qu’elle soit, sa mère ne lui a guère appris que trois ou quatre choses : fabriquer quelques confitures, exécuter des danses lascives en petit comité, pousser le zarârit ou cri national (youyouyoulou) et obéir à son maître, quoi qu’il veuille. Le harem étant ouvert aux jeunes gens sans conséquence jusqu’à l’âge de seize ans, les plus intelligens voient parfaitement comment on élève leurs sœurs et leurs cousines, et voilà pourquoi tels effendis qui pouvaient prétendre à épouser des princesses musulmanes ont préféré des sages-femmes françaises ; mais c’est l’exception. La plupart sont dignes des femmes qu’on leur destine, et beaucoup d’Européens