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se soumirent. Cette bataille de Bara est restée dans les souvenirs populaires une date néfaste qui n’est pas oubliée dans ce pays si indifférent à l’histoire. Aujourd’hui encore les femmes kordofaniennes chantent sur un air monotone et triste, en broyant le maïs, Inaltou Kordofanò ! katalò Msellem askerò ! (maudit soit le Kordofan ! les soldats (étrangers) ont tué Msellem !)

Je ne fatiguerai pas le lecteur des détails de l’atroce répression exercée par le defterdar dans la Nubie insurgée. Sa vengeance passa comme un ouragan sur Chendi : de la florissante cité qu’ont vantée Bruce et Burkhardt, il ne resta que des ruines inondées de sang. Le roi-panthère avait prudemment fui en Abyssinie : le gendre du vice-roi n’en accomplit pas moins le taube, le serment qu’il avait juré de faire tomber vingt mille têtes, coupables ou non. Après chaque combat, il parcourait lui-même le champ de meurtre et torturait les blessés de sa propre main. La presse européenne, disciplinée par les complaisans du vice-roi, regarda, il est vrai, Nimr comme un brigand et Mohammed-Bey comme un héros qui avait assuré le règne de la civilisation dans des contrées inconnues avant lui. Comme il avait dressé une carte assez curieuse du Kordofan, la Société de géographie de France lui adressa même un diplôme de correspondant dont il fut très fier, et qu’il montrait avec complaisance à ses visiteurs européens.

Quinze mois avaient suffi pour étendre la domination de l’Égypte sur un pays de près de quatorze degrés d’étendue, depuis la première cataracte jusqu’à la frontière des Gallas. Impatient de jouir de sa conquête, Méhémet-Ali y lança des ingénieurs et des métallurgistes pour en recenser les richesses minérales, les terrains aurifères en particulier. On ne trouva pas de mines d’or proprement dites, mais seulement quelques lavages assez productifs à Tira, à Cheiboun, au Toumât. La peuplade des Nouba exploitait les deux premiers, dont l’importance était surfaite par les récits des marchands. Quelques sa vans européens de l’entourage du pacha donnaient de bonne foi quelque autorité à ces récits en rappelant que dans la langue copte le mot noub signifie or. Les lavages des Nouba et ceux des Berta du Toumât furent occupés militairement, les indigènes attaqués, décimés et refoulés plutôt que soumis ; mais, entre les mains des Égyptiens, ces placers, productifs pour des nègres qui vivaient d’une poignée de maïs, ne suffirent pas à payer les frais d’occupation. Le vice-roi, qui avait fondé vers 1833, en face, des placers du Toumât, une ville appelée Hellel-Méhémet-Ali, et qu’il fit célébrer en Europe sous le nom pompeux et classique de Mohammed-Ali-polis s’en retourna découragé. L’établissement devint une colonie pénitentiaire, et aujourd’hui il est complètement abandonné. Furieux