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mission de la protéger contre lui ? Et d’ailleurs n’était-il pas capable de la bien aimer, lui avide d’idéal, intelligent, sincère et doué d’un charme réel ? À quoi bon lutter contre les mystérieuses destinées ? « Elle est seule, elle est austère, avait-il dit ; elle a besoin d’aimer, c’est fatal. Elle aimera dès qu’elle sera aimée. » Eh bien ! pourquoi non ? Si une mésalliance compromet son avenir, ne trouvera-t-elle pas dans la passion d’un homme enthousiaste et charmant des compensations infinies ? Faut-il qu’elle ignore l’amour parce qu’elle est mère ? Et qui prouve que cet enfant n’aimera pas La Florade avec engouement et ne luttera pas pour lui avec elle ? Il l’aime aujourd’hui pour sa figure riante, pour son uniforme et son canot. Ce qu’il rêve déjà, c’est d’être marin, je parie ! Demain il l’aimera pour ses tendres caresses et ses fines gâteries… Il ne connaît de moi que la tisane et les cataplasmes ! Vais-je donc être jaloux de Paul ?… Non, pas plus que je ne veux l’être de sa mère. La Florade est aventureux. Il recule sans doute encore devant l’idée de conquérir la fortune avec la femme : mais il est homme à accepter et à dominer à force de cœur et d’audace les plus délicates situations… Oui, oui, il osera ce que je n’oserais pas, et ce sera tant mieux pour elle. Il saura l’étourdir sur les dangers et les déboires de la lutte engagée avec le monde en s’étourdissant lui-même, et tout ce qui me paraît obstacle et malheur sera pour eux l’aiguillon de l’amour. Allons ! pas un mot, pas un regard qui trahisse ma souffrance. Dans huit jours, j’installerai le baron et je fuirai, laissant à la marquise un conseil et un appui sérieux. — Moi, j’oublierai, puisqu’il le faut !

J’essuyai la sueur froide qui coulait de mon front, je remontai les degrés de la noria, je redescendis ceux de la bastide, et j’étais au rivage quand le canot y déposa ses passagers. Malgré moi, mon premier regard fut pour La Florade. Sa physionomie était sérieuse et comme éteinte par le respect. Il n’y avait certes rien à reprendre dans son attitude. J’en fus d’autant plus consterné. Trop confiant en lui-même, il eût certainement déplu.

La marquise me fit le bon accueil des autres jours, et témoigna du plaisir à me voir ; mais elle rougit sensiblement. Pasquali eut un sourire de sphinx, qui n’était peut-être qu’un sourire de cordialité. Il me sembla que Paul ne faisait de lui-même aucune attention à moi.

Cependant la scène changea au bout d’un instant. La marquise remerciait Pasquali, en désignant La Florade, de lui avoir procuré un si bon pilote. Elle remerciait le pilote aussi ; mais elle n’invitait personne à la suivre, et comme La Florade m’offrait de me remmener dans son embarcation, elle mit sa main sur mon bras en di-