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par les puissances étrangères, dont les agens avaient immédiatement noué des relations avec lui. Il avait en sa faveur une grande partie de l’armée, le clergé, tous les intérêts conservateurs, tout ce qui était civilisé et européen. L’autre gouvernement, expression de la légalité révolutionnaire vaincue, se personnifiait principalement en M. Juarez, un petit Indien remuant et obstiné, à l’esprit étroit et violent. Maître de la Vera-Cruz, c’est-à-dire du plus grand port de la république, il avait la main sur les douanes et disposait d’une ressource pécuniaire qui lui permettait de vivre ; il n’avait point, il est vrai, une armée régulière, mais il trouvait dans les provinces des partisans qui se levaient pour le défendre : anciens gouverneurs, licenciés transformés en généraux, chefs de bandes toujours prêts à piller, à rançonner le pays sous un drapeau quelconque, et ne se faisant faute d’invoquer la constitution de 1857. M. Juarez n’était point reconnu diplomatiquement ; bientôt cependant il travailla à faire passer les États-Unis dans son camp en négociant avec un agent américain un traité qui livrait une partie du Mexique, traité qui ne fut pas à la vérité ratifié à Washington, mais qui dans le moment avait tout son effet en donnant à M. Juarez le prestige d’un pouvoir reconnu par les États-Unis.

Entre ces deux gouvernemens, ce n’était pas seulement une guerre civile désastreuse ravageant le pays ; c’était une guerre de décrets, de mesures législatives. L’un défendait le clergé, l’autre l’expropriait et promulguait même le mariage civil. L’un cherchait à concentrer l’administration pour dominer l’anarchie, l’autre établissait le fédéralisme dans ce qu’il avait de plus étendu et de plus incohérent. Cette lutte dura deux ans, pendant lesquels on compta plus de soixante-dix actions militaires, dont huit batailles assez importantes. Au reste, les batailles ont d’habitude un résultat peu décisif au Mexique, et la guerre civile n’y est le plus souvent qu’un prétexte pour commettre toute sorte d’excès et de déprédations. En réalité, le parti qui s’appelait fédéral ou constitutionnel, ou même constitutionaliste, comme on disait au Mexique, n’était qu’un ramassis de bandes indisciplinées ravageant le pays. Chaque chef agissait pour son compte, et les chefs étaient innombrables". Pendant deux ans, Miramon fit face à tout avec une surprenante énergie : il était l’âme du gouvernement de Mexico, qui ne vivait que par lui, et toutes les fois qu’il se mettait en campagne, il restait victorieux, il dispersait les libéraux ; mais les ressources lui manquaient, les principaux ports de la république étaient entre les mains de ses adversaires. Plusieurs fois il essaya d’aller forcer dans la Vera-Cruz le gouvernement de M. Juarez : une fois il fut rappelé par la nécessité de garantir Mexico d’un coup de main ; une autre fois les États-Unis firent échouer son entreprise en portant secours à M. Juarez. Pour avoir des ressources qui lui permissent de poursuivre la guerre heureusement et efficacement, Miramon aurait pu tout au moins disposer de certaines propriétés ecclésiastiques ; mais c’était mettre contre lui le clergé, qui entendait bien être défendu