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simples dispositions financières. Désormais il dépend de nous tous que le budget devienne une vérité. Dans le frivole Paris du XVIIIe siècle, la marquise Du Châtelet étant morte des suites d’une couche, on fit courir un quolibet où la parole était donnée à trois personnes qui tenaient de fort près à la célèbre marquise. Le marquis, son mari, disait : « Ce n’est pas ma faute. » Voltaire s’écriait : « Je l’avais bien prédit, » et Saint-Lambert soupirait : « Elle l’a voulu ! » Dans la période d’insouciance, d’imprévoyance et d’entraînement d’où l’on nous met en demeure et en mesure de sortir, la France ressemblait un peu à la pauvre marquise ; sénat, corps législatif et gouvernement pouvaient, à propos de la terrible grossesse de la dette flottante, tenir à peu près le langage du marquis, de Voltaire et de Saint-Lambert. Nous avons maintenant mieux à faire que nous abstenir, prédire ou céder. D’abord le budget va devenir intelligible. Nous ne pouvons plus nous laisser dérouter par les enchevêtremens des découverts entre les exercices. Le principe établi est que la France, dans les temps ordinaires, doit vivre sur son revenu et non plus sur son capital. Chaque année devra payer avec ses ressources ce qu’elle aura dépensé. Chaque année donc, si nous voulons dépenser au-delà de nos ressources ordinaires, nous devrons aviser à nous taxer en conséquence. Le budget annuel ne sera plus alors une cérémonie routinière ; il donnera lieu tous les ans, si nous voulons faire sérieusement notre devoir, à un contrôle sévère des dépenses, à des études attentives, à des expériences fécondes sur la taxation. M. Fould traduit le budget en langue vulgaire, puisque chaque augmentation d’impôt va élire clairement expliquée aujourd’hui par la dépense correspondante. Désormais un ministre des finances ne pourra plus proposer un budget de routine sans s’exposer aux sifflets, un budget en déficit sans perdre sa considération politique. Désormais le député, devenu enfin le contrôleur efficace de la dépense, sera forcé chaque année, en la votant, de penser au contribuable. Désormais le contribuable sera forcé de se souvenir qu’il est électeur. Ce serait un grand malheur et un grave déplacement de responsabilité, si les exigences du nouveau système financier étaient contrariées par des pratiques administratives contraires à la liberté de la presse et à la liberté des élections.

On peut juger, par la première application que M. Fould fait de son système au budget de 1863, de l’intérêt réel que présenteront à l’avenir les questions financières. Que l’on examine d’abord les deux divisions de son budget : pour l’ordinaire comme pour l’extraordinaire, le ministre des finances s’est vu obligé de proposer des remaniemens d’impôts et des augmentations de taxes. Nous ne voulons pas entrer ici dans la discussion détaillée de ses mesures de taxation. Il n’est pas d’impôt, et surtout d’impôt nouveau, qui ne prête le flanc à la critiqué. La meilleure justification des taxes est dans la nécessité. En temps de calme et de prospérité, la tâche des ministres des finances est aisée ; dans les temps difficiles, elle est hé-