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que plus d’un lecteur, même instruit, en entendra parler ici pour la première fois. C’est Argenis, roman latin composé par un écrivain écossais d’origine, mais français de naissance, — Jean Barclay, — et publié en France l’année même de la mort de l’auteur, par les soins de son ami le savant Peiresc. Un auteur du XVIIe siècle dont j’ai oublié le nom raconte qu’après la publication de l’ouvragé de Barclay, quand les jeunes gentilshommes se montraient rebelles à l’étude du latin, pour les y encourager par l’attrait d’une lecture romanesque, on leur mettait en main l’Argenis.

Essayons donc de donner une idée sommaire de l’Argenis. Comme roman, c’est un mélange d’aventures héroïques et de fadaises sentimentales dans le même genre que l’Astrée, moins la partie pastorale, qui n’existe pas dans l’Argenis, ou que le Polexandre, dépouillé de son caractère maritime et voyageur. La scène se passe en Sicile à une époque indéterminée, sous un roi de fantaisie, nommé Méléandre, qui possède une fille unique, Argenis, douée d’une beauté nécessairement merveilleuse, laquelle est courtisée tout à la fois par un vassal rebelle et dangereux nommé Lycogène, par un prince de Mauritanie nommé Archombrote, et enfin par un prince de Gaule nommé Poliarque. C’est Poliarque qui l’emporte sur ses rivaux, et qui, après bien des combats, des embûches, des obstacles, devient l’heureux époux d’Argenis.

Il était généralement admis au XVIIe siècle que tous les noms et tous les événemens qui se rencontrent dans l’Argenis se rapportaient à des noms et à des événemens accomplis en France dans les dernières années du XVIe siècle, à partir du règne de Henri III. J’ai sous les yeux une belle édition latine elzevir de ce roman, accompagnée d’une clé, en vertu de laquelle le roi Méléandre représente Henri III, sa fille Argenis la royauté française, convoitée en même temps par le roi de Navarre, qui est Poliarque, par le duc d’Alençon, qui est Archombrote, et par le duc de Guise, qui est le factieux Lycogène. — Cette même clé attribue à Elisabeth, reine d’Angleterre, le rôle de Hyanisbé, reine de Mauritanie ; elle fait de Selenisse, gouvernante d’Argenis, la reine Catherine de Médicis, et d’Hippophile le roi d’Espagne Philippe II.

Il est incontestable que dans l’Argenis il y a de fréquentes allusions aux événemens de la fin du XVIe siècle, et en particulier aux guerres de religion ; mais il y en a aussi de très évidentes à des faits appartenant au règne de Louis XIII, par exemple à l’assassinat du maréchal d’Ancre et de sa femme, qui sont appelés lydii conjuges, les époux lydiens : leur mort est racontée avec des détails très précis, et par parenthèse avec une approbation très marquée. Il ne faut donc accepter la clé de l’Argenis que dans les cas où elle