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Abd-el-Melek, où viennent se produire tous les chevaliers de l’Europe, Gomberville emploie toutes les ressources de son imagination à peindre sur les boucliers des figures et des devises ingénieuses, qui devaient intéresser les admirateurs de ce fameux carrousel de la Place Royale dont parle Bassompierre. Il joint à cela des inventions plaisantes ; il fait combattre, par exemple, contre le tenant du tournoi deux chevaliers dont chacun soutient que la femme de l’autre est la plus belle personne du monde, et qui sont tous deux désarçonnés. Ailleurs Polexandre est forcé de se mesurer en champ clos contre un chevalier qui l’admire passionnément sur sa renommée, et, sans le connaître, veut le contraindre à confesser que Polexandre est un héros incomparable, la modestie du héros l’oblige à préférer combattre plutôt que de reconnaître lui-même cette vérité.

Malgré ses mérites et ses agrémens de détail, le Polexandre ressemble, hélas ! à l’Astrée c’est une lecture jadis émouvante et qui est devenue très laborieuse. Il faut du courage pour aller jusqu’au bout. Combien de romans contemporains qui nous ont passionnés produiront une impression contraire sur ceux qui viendront après nous ! Quoi qu’en ait dit cet admirateur tardif que Gomberville conservait encore au XVIIIe siècle, et qui osait soutenir que le Polexandre était le plus estimable de nos romans par l’invention et par la texture, il est certain que cette texture est passablement enchevêtrée. Ce défaut, il est vrai, provient encore d’un désir d’innovation qui, bien que mal exécuté, fait honneur à Gomberville. Il cherche à remplacer les narrations incohérentes du moyen âge par un récit plus habilement intrigué. D’Orfé l’avait déjà précédé dans cette voie ; cependant l’Astrée est encore ce qu’on peut appeler un roman à tiroirs plutôt qu’une composition homogène. L’épisode principal est étouffé sous les épisodes accessoires, et l’unique lien de tous ces récits divers, c’est-à-dire la fiction de la fontaine merveilleuse du Forez que viennent consulter les amans pour savoir s’ils sont aimés, est un lien très faible. Gomberville a travaillé avec plus de zèle à concilier l’unité avec la variété ; il fait de grands efforts pour motiver la rencontre de quarante ou cinquante personnages appartenant à tous les pays du monde et pour les faire se retrouver naturellement après qu’ils se sont quittés. On sait même qu’il changeait assez notablement son ouvrage à chaque édition. J’avoue que je n’ai pas cru nécessaire de comparer les diverses éditions, je m’en suis tenu à celle de 1637, qui est la seconde. En même temps qu’il cherche à lier les divers épisodes de son récit, il travaille aussi à le dramatiser par des combinaisons destinées à exciter la curiosité ; au lieu de commencer par le commencement, il introduit d emblée le lecteur in médias res. Nous voyons le roi des îles Canaries à la recherche