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sur l’agriculture toscane. Il était là depuis quelques mois, dans ce joli domaine de Valchiusa, quand il entendit en songe une de ses compatriotes lui reprocher amèrement d’avoir abandonné son pays. C’était sa conscience qui se tourmentait elle-même. Il retourna bientôt dans la ville qu’il devait illustrer, sauf à se partager plus tard entre ses deux patries, la Toscane et la Suisse. Voici donc le colon de Valchiusa redevenu citoyen de Genève. Bientôt, présenté à Mme de Staël, engagé d’un pas sûr dans les hautes sphères de l’étude, célèbre dès le premier jour par sa belle Histoire des Républiques italiennes, il va entrer décidément en rapport avec cette France dont il n’a vu d’abord que les accès de délire. Notons ici les différentes phases. Le premier appel vint de Paris ; la critique littéraire de 1810 reconnut un des siens dans le peintre savant et habile de l’Italie du moyen âge. On sait que le gouvernement impérial avait institué des prix décennaux pour les meilleures productions dans toutes les branches des sciences et des lettres : l’Histoire des Républiques italiennes n’obtint pas le prix, qui fut décerné à l’Histoire de l’anarchie de Pologne ; Sismondi, honoré seulement de lamention, avait pourtant la première place parmi les vivans, puisque Rulhières était mort. Nos lettres inédites contiennent quelques détails à ce sujet. Je cite ce passage, parce que nous avons là le point de départ des relations de Sismondi avec la société française ; je le cite aussi à cause des jugemens littéraires qu’il renferme. Ajoutons que ce premier succès de Sismondi semble avoir passé inaperçu : Marie-Joseph Chénier n’en dit rien dans son Tableau de la Littérature, quoiqu’il accorde une attention très sérieuse à l’Histoire des Républiques italiennes[1]. Les biographes les mieux informés ont gardé le même silence : ni M. Mignet dans sa belle notice, ni Mlle de Montgolfier dans ses touchans mémoires, n’ont rappelé ce premier triomphe dont Sismondi, on va le voir, paraît si naïvement heureux.


« Florence, 14 août 1810.

« Je ne vois ici que le Journal de l’Empire, en sorte que je n’entends qu’un seul parti dans la querelle qu’ont excitée les prix décennaux. Il y a en effet de quoi faire un beau tapage et mettre en mouvement toutes les prétentions de tous ceux qui depuis dix ans se sont distingués dans tous les genres. Pour ma part, je suis très content, je me sens flatté par la mention

  1. A vrai dire, il n’en pouvait parler que dans un appendice, ce Tableau de la littérature étant un rapport composé par Chénier à l’occasion du concours. Les débats assez compliqués qui précédèrent le vote peuvent se lire tout au long dans le volume des Mémoires de l’Institut publié sous ce titre particulier : Rapports et discussions de toutes les classes de l’Institut de France sur les ouvrages admis au concours pour les prix décennaux. Paris, novembre 1810.