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une dissertation sur cette rivière qui annonce chez lui des connaissances géographiques assez solides, et qui a été réimprimée au XVIIIe siècle à la suite des Voyages de Wood. Dans la dernière moitié de sa vie, Gomberville, qui possédait une propriété aux environs de Versailles et non loin de Port-Royal-des-Champs, se lia avec les fameux solitaires de cette abbaye et en particulier avec Lemaistre. « Leur exemple le toucha ; dit le Nécrologe de Port-Royal ; il se mit à les imiter dans leur vie pénitente, et il ne voulut plus employer son éloquence que dans des sujets sérieux. »

Il paraît cependant, et le Nécrologe lui-même constaté le fait, qu’au plus fort de la dévotion de Gomberville, les solitaires, dont l’austérité était grande, ne parvinrent jamais à lui inspirer une suffisante horreur pour ses romans ; non-seulement il les soutenait fort innocens, ce qui était vrai, mais on raconte qu’un jour, les ayant reconnus futiles, Lemaistre de Sacy profitant de l’occasion pour l’exhorter à se repentir d’avoir consacré son temps à des occupations si misérables, il trouva qu’on abondait trop dans son sens, et se récria en disant : « Pas si misérables ! » Gomberville mourut à l’âge de soixante-quatorze ans.

Nous ne nous occuperons ici que de ses romans, et même d’un seul de ses romans, parce qu’il est le seul qui offre un véritable intérêt ; sinon en lui-même, au moins pour l’histoire du genre romanesque. Nous écarterons la Caritie, la Cythérée, la Jeune Aleidiane, qui n’est qu’une continuation inachevée du Polexandre, pour nous attacher uniquement à ce dernier ouvrage. Qu’est-ce donc que le Polexandre ?

Un des éditeurs et arrangeurs de la Bibliothèque des Romans qui parut à la un du XVIIIe siècle, de 1775 à 1789 (c’est Tressan peut-être), va jusqu’à dire de cet ouvrage : « De tous les romans qui ont paru dans notre langue, c’est le plus considérable, le plus intrigué, et, nous osons le dire, le plus estimable par l’invention et par la texture[1] : Cette admiration est à coup sûr exagérée, mais le dédain de Laharpe pour Polexandre ne l’est pas moins. On sait que pour Labarpe le roman ne commence à exister qu’à partir de Zaïde et de la Princesse de Clèves ; tout ce qui précède, même au XVIIe siècle ; est mis de côté par le célèbre aristarque ; il déclare qu’il n’en a rien lu, « parce que, dit-il, il lui est impossible de lire ce qui l’ennuie. » Il ne fait qu’une seule exception, et c’est précisément à l’occasion de Polexandre ; mais cette exception, au lieu d’être favorable à Gomberville, lui est meurtrière. C’est Polexandre que Laharpe choisit pour lui faire porter en quelque sorte tout le poids de son antipathie contre les romans antérieurs à Zaïde. Il déclare que

  1. Voyez la Bibliothèque des Romans, livraison d’octobre 1775, p. 208.