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À côté de ces traits de sentiment bien saisis, et qui annoncent une connaissance assez profonde du cœur humain, il y a dans le roman de Palombe plus d’un tour original et heureux. C’est ainsi que l’auteur dira en parlant de Fulgent : « Il parut sombre et mélancolique ainsi qu’un captif qui traîne ses fers ; » ou bien : « la tentation en sa naissance n’est qu’une fourmi qui chatouille ; en sa fin, c’est un lion qui dévore. » Mais il faut bien dire aussi que tous ces agrémens de détail sont comme noyés dans un océan de métaphores ridicules et agglomérées, de fadaises prolixes, de phrases grossières ou alambiquées, et de jeux de mots puérils. Ainsi le digne évêque n’hésite pas à écrire : « Ce n’est plus le comte de qui l’on faisait tant de compte ; — Persée perçant les murailles pour délivrer Andromède ; — tandis qu’il remâchait ces vers que de vers rongeaient sa poitrine ! » Ailleurs, pour peindre la passion criminelle du comte, il dira : « L’ail puant d’une affection adultère aidée des aiguillons que la chair et le sang mêlent dans la graisse de sa prospérité trop abondante suspend en lui cet écoulement de son âme vers son objet honorable, en quoi consiste l’essence de la vraie amour. » Ou bien il s’écriera : « Oh ! que c’est une horrible convulsion d’âme quand l’huile de l’espoir vient à manquer à la lampe d’un extrême désir ! » Ajoutons enfin que l’innocence du pieux romancier ressemble un peu à celle de Daphnis et Chloé, elle en est à ignorer la pudeur. Il trouve quelquefois pour peindre le vice des phrases qui embarrasseraient un mousquetaire.

Et cependant les romans de Camus ont eu leur jour de succès ; nous ne prenons pas tout à fait à la lettre le témoignage de Perrault, qui nous dit dans ses Hommes illustres que « ces pieuses narrations passèrent dans les mains de tout le monde, firent un fruit très considérable, et furent comme une espèce de contre-poison à la lecture, des romans. » A cet éloge excessif on pourrait opposer plus d’une phrase un peu ironique de Tallemant ou de Ménage. On comprend néanmoins qu’entre le genre railleur et obscène et le genre héroïque bu pastoral, qui seuls florissaient alors, il y ait eu une place pour des fictions sérieuses par le fond, dont les bizarreries de forme amusaient plus qu’elles ne choquaient le goût encore un peu grossier du public, et que ces fictions, qui désertaient le terrain épuisé des vieilles légendes romanesques pour s’attacher à peindre la vie commune, aient pu intéresser les contemporains de l’évêque de Belley comme une nouveauté utile et agréable.


II. — LE ROMAN MARITIME ET PITTORESQUE. — LE ROMAN POLITIQUE.

À côté du roman familier et moral de Camus, le roman héroïque cherchait, sous Louis XIII, à se maintenir en se transformant, et il