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une précision de détails et souvent une vivacité de coloris que ne désavoueraient pas ceux de nos romanciers qui ont le mieux réussi cette sorte de peinture. Nous serions porté à penser que le bon Camus avait dû voir ce qu’il décrit ; mais après avoir lu cette description, qui ressemble presque à celle d’un amateur, on n’est pas fâché de retrouver l’évêque et de l’entendre s’écrier : « Qu’il nous soit permis de dire qu’il faut tenir de la bête pour mettre sa vie au hasard et de gaité de cœur pour combattre une bête, » etc. Toute cette page fait partie des pages assez nombreuses que M. Rigault n’aurait pas dû, à mon avis, supprimer dans l’abrégé qu’il adonné de Palombe. Il est arrivé, à force de suppressions et de ratures, à composer un résumé assez correct, mais où l’on aimerait à retrouver un peu plus souvent les réflexions, les apostrophes, les parenthèses, les bizarreries même qui constituent l’originalité de Camus. La même observation s’applique aux lettres de Palombe à son mari, où, parmi beaucoup de passages forcés et de mauvais goût, on en rencontre qui expriment avec bonheur des sentimens vrais. Ces lettres de Palombe sont au nombre de dix dans l’original. M. Rigault, dans son abrégé, donne seulement des fragmens des trois premières. Pourquoi supprimer par exemple ce passage touchant de la septième lettre, qui peint si bien une nuance importante du caractère de Palombe, dont l’attachement est si absolu qu’il exclut même la jalousie, et souffre bien plus de l’aversion de Fulgent que de son infidélité ? « Voyez, lui écrit-elle, jusqu’où allait l’indulgence de mon amour : je cherchais dans la beauté de Glaphire des excuses pour votre faute ! Tant s’en faut que je la haïsse comme rivale, qu’au contraire je la chérissais uniquement comme aimée de celui que j’aime le plus au monde, et pour cela je l’appelais ma sœur d’alliance, et je vous proteste que si nous étions en la liberté des lois anciennes, il ne tiendrait pas à moi que vous ne fussiez un Jacob, elle votre Rachel, et moi la pauvre Lia[1]. » Ce passage peut sembler un peu étrange sous la plume d’un évêque ; aussi Camus met-il immédiatement après dans la bouche de Palombe des paroles sur la sainteté du mariage chrétien ; mais qui pourrait nier que le sentiment exprimé d’abord par Palombe ne soit chez un certain nombre de femmes le signe, non pas de l’indifférence, mais de l’extrême affection[2] ?

  1. Palombe, édition originale, p. 554, 555.
  2. En citant une de ces lettres, qui forment peut-être la partie la plus distinguée du roman de Palombe, M. Saint-Marc Girardin était tenté de les rapprocher des lettres de la malheureuse duchesse de Praslin. Il a reculé devant un souvenir affreux qui nous fait reculer aussi ; mais il est certain que ce rapprochement serait assez curieux, car il mettrait en présence deux variétés très différentes et presque opposées de l’amour conjugal.