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qui est digne en effet d’exercer les meilleures intelligences. On peut toutefois entrevoir des à présent que cette grande nouveauté, réagissant sur toutes les affaires contemporaines, y fera surgir des incidens et des solutions imprévus. Qu’on se place par exemple en regard de ces deux gros problèmes autour desquels tourbillonnent, comme dans le souffle des orages, les intérêts et les passions politiques de notre temps : ce besoin d’expansion et de dignité dans la multitude qu’on appelait en temps de révolution « l’affranchissement du prolétariat, », et la tendance actuelle des peuples à se grouper d’après certaines affinités naturelles, ou, comme on dit en termes encore bien vagues, suivant « le principe des nationalités. » Si on aborde ces questions sans tenir compte de la transformation économique, tout y parait sombre et menaçant ; qu’on les transporte au contraire dans un milieu où le phénomène de la production ne serait plus faussé, et les solutions se présenteront d’elles-mêmes aux esprits comme les conséquences naturelles et pacifiques d’un nouvel ordre de choses.

Un grand malheur pour notre pays à tous égards serait que la haute bourgeoisie, en voyant tomber un à un les privilèges dont il était bon de lui rappeler l’origine, s’imaginât que les changemens amenés naturellement par le progrès des âges sont le résultat de quelque machination ourdie contre elle. Peut-être en effet y aurait-il péril pour ses intérêts, si, fermant les yeux pour ne pas voir, elle s’obstinait dans la négation et la résistance. Qu’elle étudie le mouvement, qu’elle s’y associe franchement comme ont fait les classes supérieures de la société anglaise, et, comme celles-ci, elle conservera, avec les avantages positifs qui lui donnent aujourd’hui la prépondérance, une influence morale dont notre pays peut encore avoir besoin.

Quels que soient en définitive les incidens qui modifieront en Europe le phénomène de la production, en y faisant prédominer de plus en plus le principe dont je signale l’avènement, bien qu’il ne s’agisse en apparence que des intérêts matériels, il y aura certainement profit pour la cause libérale. C’est que l’économie politique est l’atmosphère où les nations se meuvent. Les savans nous disent que, dans la création, les êtres se sont perfectionnés à mesure que s’est améliorée leur atmosphère. De même la politique générale, dans un milieu économique où la liberté s’introduit à son heure avec la force invincible de toute grande loi naturelle, ne peut manquer de subir des transformations dans le sens de la liberté.


ANDRE COCHUT.