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et le traité de commerce avec l’Angleterre ont introduit enfin dans notre législation commerciale, non pas encore la liberté, mais son germe. Levée irrévocable des prohibitions absolues, remplacement des privilèges exclusifs attribués jusqu’ici à certaines industries par des droits encore fortement protecteurs, mais du moins réductibles selon l’opportunité, exonération des matières qui alimentent les ateliers, recherche des points où les dégrèvemens peuvent développer la consommation des denrées exotiques : tel est le programme. Il a paru hardi les premiers jours : on le trouvera modeste lorsque la résistance des grands intérêts, si puissamment coalisés chez nous, sera une impression effacée. L’épreuve, coïncidant à ses débuts avec un ensemble de circonstances défavorables au commerce, n’a point donné de ces résultats saisissans qui remuent l’opinion. Néanmoins deux faits importans sont acquis : l’industrie française n’a pas été bouleversée par des inondations de marchandises étrangères, et dans nos grandes usines, où le progrès est entré de force, les perfectionnemens se multiplient déjà avec la fougue et les ressources de l’esprit français. Les monopoles forment une espèce d’édifice dont les matériaux se soutiennent : qu’il en tombe un et les autres sont ébranlés. L’échelle mobile vient d’être supprimée presque sans contestation, et tout le monde s’en trouve bien. On a senti que notre code de commerce n’est plus de notre temps, et une commission d’étude a été instituée pour en préparer la refonte.

La première étape est franchie : rétrograder serait une calamité, stationner est impossible ; il faut avancer. Croire, d’après le sens que le vulgaire attribue au mot de libre échange, qu’il s’agit simplement d’échanges internationaux et de la réduction des tarifs douaniers, ce serait une erreur. Le mouvement, très avancé en Angleterre, à peine commencé en France et destiné à se généraliser en Europe, n’est rien moins que l’introduction du principe de liberté dans tous les actes concernant le phénomène de la production, crédit, sociétés commerciales, fiscalité, éducation professionnelle. Que les hommes d’état ne s’y trompent pas, c’est une grande évolution historique dont l’heure est venue, et à ce titre notre époque, si tourmentée, si peu éclairée sur l’œuvre qu’elle accomplit et si ennuyée d’elle-même, est néanmoins destinée à compter, parmi les plus mémorables.

J’arrive enfin aux conclusions positives, applicables à notre temps, dont cette longue série d’études n’a été que le commentaire historique. Il y a dans le développement des sociétés deux ordres de faits qui, bien que réagissant incessamment l’un sur l’autre, sont tout à fait distincts : l’ordre politique, où l’on essaie de ramener à la notion absolue du droit les faits accidentels résultant des antécédens historiques et des passions humaines, et l’ordre économique,